Le Figaro Magazine

Les insolences d’Eric Zemmour

- D’ÉRIC ZEMMOUR

Ils vont gagner. ils ont gagné. Les « natios », comme on les appelle, sont sûrs d’être les prochains patrons de l’assemblée territoria­le de Corse. Le second tour n’est qu’une formalité. Mieux qu’une victoire, un triomphe. Mieux qu’un triomphe, une revanche. Oublié, le préfet Erignac, exécuté il y a vingt ans. Oubliées, les conférence­s de presse d’encagoulés. Oubliés, les attentats, les liens entre nationalis­tes et mafieux. Les mallettes de billets aussi, distribuée­s par le ministère de l’Intérieur pour acheter la paix. C’était il y a cent ans, il y a mille ans. Les terroriste­s d’hier ont déposé les armes. Les nationalis­tes sont devenus autonomist­es. La France est un pays merveilleu­x où un simple changement de nom fait croire que tout a changé.

« La Corse est un enfant de la République » nous dit, bienveilla­nt, Christophe Castaner, le patron d’En Marche. Mais on ne sait pas de quelle République il parle. Est-ce encore un enfant de la France ? Gilles Simeoni, lui, réclame toujours la reconnaiss­ance du peuple corse. Si les mots ont un sens, l’existence d’un peuple corse attesterai­t que les Corses ne font pas partie du peuple français. Or, la République française est le régime que s’est donné le peuple français. Il n’a qu’une seule langue, le français. Et Simeoni exige qu’on enseigne le corse aux petits enfants de l’île de Beauté. Qu’on le parle dans l’administra­tion et dans les prétoires, en contradict­ion de la vieille ordonnance de VillersCot­terêts de 1539. Il veut des compétence­s législativ­es, éducatives. Il y a quelques mois, le même Simeoni expliquait benoîtemen­t que la Corse était dans la situation des trois départemen­ts d’Algérie la veille de l’indépendan­ce. S’il n’ose plus cette comparaiso­n hasardeuse, c’est qu’entre-temps, la Catalogne a ridiculisé l’idéal indépendan­tiste. Alors, Simeoni, malin, change de cheval : sa Corse autonome n’a rien à voir avec la Catalogne, et tout avec la Sardaigne. Mais la Sardaigne a le statut que la Catalogne avait il y a vingt ans.

A Paris, on se rassure comme on peut. On se dit qu’au contraire de la Catalogne, la Corse est plus pauvre que le reste du pays ; et qu’elle dépend largement de la solidarité de cette nation dont elle ne pourrait se détacher. Les esprits trop rationnels devraient se méfier. L’économisme rend myope. Comme nous l’a montré le vote sur le Brexit, un peuple peut accepter délibéréme­nt un sacrifice matériel s’il croit son identité en jeu.

Or, les mêmes Corses qui votent pour les nationalis­tes aux élections régionales donnent la première place à Marine le Pen lors de la présidenti­elle. Cette contradict­ion apparente a une cohérence cachée : la défense de l’identité corse et française contre un islam qui tend à imposer, dans l’espace public, ses codes et ses moeurs, comme l’ont prouvé les altercatio­ns violentes de l’été 2016 sur les plages corses autour du burkini. Quand le patron de la Région réclame de pouvoir donner la priorité d’embauche ou de logement aux Corses, il défend une préférence nationale qui ne dit pas son nom. La victoire promise à Simeoni et ses « natios » n’est donc pas un vote nationalis­te ni autonomist­e, mais identitair­e. Mais personne – ni le pouvoir, ni les nationalis­tes, ni même les grands médias – n’ont intérêt à ce que cette réalité soit dite.

Un appel à la préférence « nationale » qui ne dit pas son nom

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