Le Figaro Magazine

Figaro-ci, Figaro-là

Jean d’Ormesson a lontemps collaboré au « Figaro » et au « Figaro Magazine ». La gauche au pouvoir l’occupa beaucoup, mais aussi le mystère de notre « désenchant­ement » national. A lui seul, il voulait nous rappeler combien nous avons été un peuple gai.

- PAR CHARLES JAIGU

Il écrivait ses chroniques depuis cet hôtel particulie­r hors du temps caché dans les profondeur­s de Neuilly et où on arrive en passant devant l’arrêt de bus Maurice Barrès. Dans Le Figaro Magazine, pour lequel il écrivit beaucoup au début des années 1980, Jean d’Ormesson scrutait la politique et les moeurs du temps présent, sans nostalgie pour les temps révolus, mais sans céder aux sirènes de la modernité. Il avait la plume généreuse pour disséquer les remaniemen­ts gouverneme­ntaux, les dévaluatio­ns du franc, mais aussi Sakharov et Margaret Thatcher. Cela prenait toutes les formes, petites dissertati­ons, dialogues ou monologues imaginaire­s (Pierre Mauroy et quelques autres), ou lettres ouvertes adressées au président de la République ou au Premier ministre. On hésite, en lisant ces d’ormessonad­es, à voir en l’auteur un « intellectu­el », fût-il de droite. C’est une question de légèreté dans la façon de poser les problèmes. Cet esprit primesauti­er, crépitant d’anecdotes, a une gaieté foncière qui ne fait pas partie du registre propre aux « intellectu­els ». « Vous n’avez pas le sens du tragique », lui a expliqué un jour Jacques Julliard lors d’un débat télévisé. Intéressé, Jean d’Ormesson l’a aussitôt invité à déjeuner.

Il est vrai que les contributi­ons de l’écrivain au Figaro Magazine refusent toute pesanteur. Voici ce qu’il écrit dans nos colonnes le 10 juillet 1982 : « Nos adversaire­s emploient une formule qui m’a toujours paru haïssable : “tout est politique”. Non. Tout n’est pas politique. L’amour, la littératur­e, les jeux et la grâce des enfants, un certain regard sur la vie échappent à une politique qui s’efforce inlassable­ment de la récupérer. » La maxime est trop sentencieu­se, trop moralisatr­ice, trop sérieuse. L’un de ses airs préférés, de chronique en billet, est la nostalgie d’une légèreté française. Il le redit sans cesse. « Les Français ont aimé la gaieté jusqu’à la caricature. La France jouait avec génie le rôle quasi métaphysiq­ue du clown blanc de l’histoire. Voilà que le clown blanc s’est vêtu de noir. Que s’est-il donc passé ? », se demande-t-il. C’est que le monde s’est désenchant­é et, s’il en aperçoit les causes lointaines, il ne néglige pas la tragédie de 1940, « date fatidique où s’écroulent en quelques heures une nation millénaire et son bonheur de vivre ». Ce qui ne l’empêche pas de continuer →

→ à le vanter dans nos colonnes : « La dérision règne partout, elle a remplacé la gaieté », condamne-t-il. D’Ormesson est de cette élite, tant détestée par les obsessionn­els du repli, qui redit, d’éditorial en éditorial, avec constance, lucidité et courage que « le cri “la France seule” est aujourd’hui un appel au suicide ». Il ne pousse jamais au rétropédal­age. Bien au contraire : « Je pense que la France n’est plus exactement une nation, mais elle demeure une idée […] Et cette idée ne peut survivre que dans l’Europe. » Tels sont les paradoxes de notre star-académicie­n : « Je suis un gaulliste européen, catholique agnostique, conservate­ur progressis­te », résume-t-il en multiplian­t les oxymores. Le ton pour le dire n’est pas celui du « Bloc-notes » de François Mauriac, ni celui des analyses plus froides et distanciée­s de Raymond Aron. D’Ormesson se tient à mi-chemin. Moins féroce que le catholique bordelais, moins conceptuel et américain que le philosophe libéral, en gaulliste d’ouverture, en réformateu­r lettré.

On le sait bien, le temps qui dure, le temps qui passe et celui contre lequel on remporte parfois des victoires éphémères sont ses sujets de prédilecti­on. La France a changé, et il en tient compte. Mais il voit aussi les permanence­s. « Ce qui me frappe, en relisant mes papiers, c’est à quel point Hollande répète Mitterrand, commençant à gauche pour terminer à droite. » Le passage du temps change en revanche le jugement sur les hommes. François Mitterrand est la grande affaire de ces chroniques au Figaro. Il ne cesse de scruter ce sphinx élyséen avec lequel il n’est d’accord sur rien sauf l’Europe, et l’amour des lettres françaises. Après mille saillies assassines, il sauve des

“GAULLISTE EUROPÉEN, CONSERVATE­UR PROGRESSIS­TE”

enfers le président socialiste : « A la fin de sa vie, ceux qui le détestaien­t le détestaien­t moins qu’au début. Ceux qui l’aimaient l’aimaient moins qu’au début. Je ne me rangerai pas, pour ma part, parmi ceux qui l’aimaient », écrit-il au lendemain de la mort de Mitterrand.

Son grand ami l’historien Marc Fumaroli dit de lui qu’il aura été le

« gentilhomm­e de la République ». Formule heureuse qui dit par quel charme il aura illustré cette noblesse qui épousa par toutes ses fibres les pompes de notre régime présidenti­el, les heurts de notre démocratie parlementa­ire. Osera-t-on dire qu’il tient finalement moins de Chateaubri­and que de Benjamin Constant, grand libéral et grand séducteur ? D’Ormesson, au fond, déteste l’esprit de parti. Cela fait un éditoriali­ste bretteur mais plein d’empathie. Et, s’il fraye avec les intellectu­els de la rive gauche, il aime aussi dire du bien des pestiférés de la droite. « Jean-Marie Le Pen ? Il parle un français merveilleu­x », lance-t-il en rappelant qu’il a toujours été entouré « d’amis de l’Action française, de Kléber Haedens à Michel Déon ». De Sarkozy, que ses amis de droite adorent détester, il continua de dire du bien. « Nous sommes encore quelques-uns en France à penser que Nicolas Sarkozy a l’étoffe d’un homme d’Etat », écrit-il en 2012. Cela ne l’empêcha pas de louer les Fillon et consorts. « On va dire que j’aime tout le monde ! » Peut-être… En tout cas, Monsieur d’Ormesson, tout le monde vous aura aimé. ■

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« Figaro » entre 1974 et 1977, dans les locaux du journal. Une sélection des chroniques de l’écrivain a été publiée sous le titre « Dieu, les affaires et nous. Chroniques d’un demi-siècle » (Robert Laffont). Il y est...
Jean d’Ormesson, directeur du « Figaro » entre 1974 et 1977, dans les locaux du journal. Une sélection des chroniques de l’écrivain a été publiée sous le titre « Dieu, les affaires et nous. Chroniques d’un demi-siècle » (Robert Laffont). Il y est...
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Dans sa « Chronique du temps qui passe », Jean d’Ormesson abordait tous les sujets, avec une prédilecti­on pour la politique intérieure et les relations internatio­nales. Sa signature était présente dès le premier numéro du « Figaro Magazine », en...
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