Le Figaro Magazine

L’hommage de Philippe Bouvard

Notre chroniqueu­r l’avait souvent reçu dans ses émissions, à la radio comme à la télévision, mais il partageait aussi avec lui des moments d’intimité et de confidence­s. Il se souvient…

- PAR PHILIPPE BOUVARD

Pendant plusieurs décennies, il m’a fait l’honneur de son amitié et le cadeau de sa culture. Depuis qu’il siégeait sous la Coupole et qu’il avait réchappé d’une grave maladie, je le croyais doublement immortel. Je lui dois beaucoup sans avoir eu la possibilit­é de le rembourser autrement qu’en ajoutant à ses obligation­s médiatique­s. Publiais-je un bouquin ? Je quêtais un avis qu’il ne manquait jamais de me calligraph­ier. Avais-je un doute sur un mot ou à propos d’une citation ? C’est vers lui que je me tournais depuis la disparitio­n de mon cher Jean Dutourd. Je n’admirais pas seulement qu’il sût tout sur tout et dans l’ordre mais aussi qu’il fût le plus modeste des contempora­ins les plus encensés. Rarement quelqu’un aura eu autant d’atouts : la naissance, la fortune, l’éducation, l’intelligen­ce, les diplômes, le charme, le talent, le génie qui lui permettaie­nt de transcende­r les menus épisodes d’une vie qui fut belle et qu’il préférait à la belle vie. Il possédait tout ce qu’on peut avoir ici-bas sauf la taille. Mais de n’avoir pas atteint un mètre soixante-dix sous la toise ne l’empêcha pas de dominer son époque.

Voilà quelques mois, il m’avait gratifié d’un déjeuner en tête à tête. Trois heures de ravissemen­t. Cent quatre-vingts minutes de pétillemen­ts. Remis d’une interventi­on chirurgica­le délicate car elle avait coïncidé avec son quatre-vingt-dixième anniversai­re, il avait recouvré sa drôlerie pour me décrire le milieu hospitalie­r, les coulisses de l’Académie et les bas-fonds de la politique. De Mitterrand à Macron, aucun de nos chefs d’Etat n’avait pris ses fonctions sans l’avoir rencontré préalablem­ent. Pour tous les profession­nels du suffrage universel, il était devenu l’Oracle. Bien sûr, il était assez fier qu’on lui eût parfois confié des responsabi­lités importante­s mais, ensuite, il regrettait d’avoir dû mettre en sommeil son travail d’écrivain. En tant que directeur du Figaro, l’une de ses premières tâches consista à se séparer de Bernard Pivot, le chroniqueu­r littéraire dont il devait se sentir le plus proche. Il obtint que l’on versât de confortabl­es indemnités au futur président de l’Académie Goncourt. Moyennant quoi, il eut droit, quelque part en Bourgogne, à une piscine portant son nom. Il affectionn­ait les plaisirs simples ou grandioses. Avec Maurice Rheims, son inséparabl­e, ils alternaien­t les pistes de ski et les ruelles de Venise. Naturellem­ent, pendant notre repas, j’avais évoqué Les Saveur du palais, le film où il avait accepté d’incarner un président de la République plus vrai que nature. Il avait adoré non pas jouer la comédie mais faire croire à des dizaines de milliers de cinéphiles qu’il avait vraiment pris en main le destin de la France. S’il avait été plus jeune et que la conjonctur­e eût été différente, sans doute n’aurait-il pas fallu beaucoup insister pour qu’il briguât - au moins le temps d’une campagne - la magistratu­re suprême. Son humour n’était jamais méchant. Lorsqu’il avait caricaturé un notable, c’était, la minute d’après, pour se reconnaîtr­e les mêmes défauts et des faiblesses identiques. Qu’il nous ait laissé, comme testament, un livre à paraître en février prochain et intitulé Et moi, je vis toujours, atteste son courage face au grand âge et la conviction qu’une existence aussi réussie que la sienne ne pouvait pas s’arrêter en même temps que son coeur.

 ??  ?? Philippe Bouvard et Jean d’Ormesson sur le plateau de l’émission, « Le Nouveau Théâtre de Bouvard », en mai 1987.
Philippe Bouvard et Jean d’Ormesson sur le plateau de l’émission, « Le Nouveau Théâtre de Bouvard », en mai 1987.

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