En vue : Philip Pullman
L’écrivain jeunesse aux 20 millions de livres vendus se lance dans une nouvelle trilogie fantastique promise au succès. Rencontre avec le plus délicieux des hommes.
Ce matin-là, l’ancien bureau de Claude Gallimard a des allures de cottage anglais : pantalon de velours côtelé, veste en tweed et chemise en chambray indigo, l’écrivain britannique de 71 ans, Philip Pullman, très smart, boit un thé. Souriant, courtois, il fait l’effort de parler français. Seuls de légers cernes trahissent une certaine fatigue : il arrive de Suède. La France est la dernière étape de sa tournée européenne pour la publication de La Belle Sauvage, qui, depuis sa parution au Royaume-Uni, il y a un mois et demi, caracole en tête des meilleures ventes. « Devant Dan Brown, John Le Carré et Jamie Oliver ! » souligne Christine Baker, son éditrice française (qui est aussi celle de J. K. Rowling !). Ce livre était attendu depuis dix-sept ans : c’est le premier tome de La Trilogie de la poussière, cycle en miroir du succès planétaire A la croisée des mondes, vendu à 20 millions d’exemplaires dans 34 pays (dont 2,5 millions en France), adapté en bande dessinée, au théâtre et au cinéma (par Chris Weitz avec Nicole Kidman, Daniel Craig et Dakota Blues Richards). L’histoire de La Belle Sauvage se situe dix ans avant la croisée des mondes et raconte la petite enfance de son héroïne, Lyra. « Mais ce n’est pas un prequel, pas un sequel non plus, c’est un “equel” », prévient l’auteur, sourcils dressés, avant d’avouer en riant qu’il a « inventé ce terme parce qu’il est toujours bon d’avoir une petite phrase que les journalistes peuvent reprendre ! ». Dans ce nouveau volet, Lyra est âgée de quelques mois.
ARecueillie par des bonnes soeurs devant la porte d’un couvent, elle intéresse beaucoup de gens inquiétants. A tel point qu’un jeune fils d’aubergistes, Malcom, décide de la sauver en s’enfuyant sur un petit bateau nommé La Belle Sauvage – en français dans le texte (« un clin d’oeil à une princesse indienne, Pocahontas, qui avait sauvé la vie d’un Anglais au XVIIe siècle »). Un roman plein de rebondissements, d’aventures, avec des héros… très ordinaires. « Je voulais célébrer les vertus de la curiosité et de la gentillesse. Les écoles sont pleines d’enfants comme Lyra et Malcom », dit Philip Pullman. Il fut longtemps enseignant. Apprécié des élèves et de leurs parents, il écrivait et montait des pièces de théâtre auxquelles tout le collège participait : « Je suis avant tout un conteur. Aujourd’hui, je m’exprime à travers le roman, mais ce pourrait être par le théâtre, le cinéma… » Dans la lignée de Lewis Carroll ou d’un C. S. Lewis, l’univers de Pullman est fantastique, constitué de mondes parallèles, fourmillant d’objets et de créatures extraordinaires : « Je m’inspire beaucoup du folklore, des mythologies, de la Bible… », explique-t-il. Elevé par un grand-père pasteur, il a beaucoup lu et beaucoup voyagé. Lorsqu’il n’écrit pas, il s’enferme dans un atelier et fabrique des meubles en bois « pour reposer son cerveau », s’intéresse à l’histoire des canaux d’Oxford, la ville où il habite, ou aux dernières découvertes scientifiques comme le boson de Higgs (particule qui lui a donné l’idée de « la poussière », une matière qui, dans ses romans véhicule la conscience et la connaissance) : « La fonction de l’écrivain est de piquer des idées à droite et à gauche. Je suis romancier : je suis libre. »
Est-ce pour cela que ses histoires, quoique destinées à la jeunesse, sont aussi lues par des adultes, et bien au-delà de la Manche ? « J’espère que tout le monde peut lire mes livres. Ouvrir un livre, c’est comme ouvrir une porte secrète. C’est un moment intensément privé, comme lorsque l’on va dans l’isoloir pour voter. » Et d’ajouter : « Un livre est un assemblage. Il y a l’écrivain, celui que le lecteur pense être l’écrivain, il y a le lecteur, le narrateur qui est une invention de l’écrivain, il y a ceux pour qui l’on croit que le livre a été écrit, ceux auxquels on ne pense pas… Toutes ces personnes existent en même temps et se rencontrent à travers la lecture. Lire un livre, c’est exercer la démocratie. » A voté !