L’affiche/Les passe-temps d’Eric Neuhoff
Quel artiste, en 2017, peut se targuer de remplir tous les soirs une salle de 800 places en se contentant, pour toute promotion, de quelques affiches aussi sobres que rares ? Un seul : Gaspard Proust. Sur son seul nom (et prénom), cet homme au mauvais esprit revendiqué affiche quasi complet au Théâtre Antoine jusqu’à la fin de l’année. On se presse pour venir entendre, supporter et applaudir ses saillies contre les bien-pensants, les commentateurs politiques gonflés d’orgueil, les fémi-nistes hystériques, les savants fous et leurs thuriféraires, les progressistes sourds et aveugles, les complices objectifs de Daech, les obsédés de la modernité, Anne Hidalgo… Dans son Nouveau Spectacle, il a ôté beaucoup de politique (merci la vague dégagiste du printemps dernier) au profit heureux d’une véritable réflexion philosophique et anthropologique sur notre société. Entre deux rafales de formules drôles, cruelles, hilarantes, embarrassantes, il développe une vision du monde aussi noire que son humour. Héritier incontestable de Desproges et de Muray, il se montre de plus en plus houellebecquien (de belles dents et une énergie comique en plus). Est-il un faux pessimiste ? Un décadentiste joyeux ? Un nihiliste conservateur ? Bref, un oxymore sur jambes ? Seule certitude : il est le plus cultivé, le plus littéraire et sans doute le plus intelligent de ceux qui font office de divertir. La preuve : il ne parle pas aux journalistes.
JEAN-CHRISTOPHE BUISSON
CINÉMA
LE BEL AVENIR D’IRIS BRY
Elle est inconnue au bataillon. Et pour cause : Iris Bry menait une vie tranquille dans sa librairie de Montreuil jusqu’à ce qu’une directrice de casting la repère. Eblouie par l’expression de son visage lumineux, elle l’a présentée à Xavier Beauvois, alors à la recherche d’héroïnes pour l’adaptation d’un roman d’Ernest Pérochon (Editions Métive). Cette semaine, on retrouve donc la flamboyante en haut de l’affiche des Gardiennes, film pictural et sensible qui a permis au réalisateur des Hommes et des dieux de faire la part belle aux femmes. Car pour évoquer la France de 1915, il ne s’intéresse pas à la guerre des soldats, mais au combat de celles restées à l’arrière pour assurer le bon fonctionnement des exploitations agricoles malgré la charge physique du travail et la peur permanente d’apprendre la mort d’un fils, d’un père ou d’un mari. Dans des décors et des lumières dignes des tableaux de Millet, ce drame poignant, qui réunit Nathalie Baye et Laura Smet, donne un coup de projecteur sur Iris Bry, que sa présence naturelle et son jeu subtil ont déjà propulsée dans la première liste des révélations des Césars. A suivre.
CLARA GÉLIOT
EXPOS
SOUVENIRS, SOUVENIRS…
Cette année, le quartier du Neustadt – bâti dès 1880 – s’est ajouté à la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Un symbole pour la capitale alsacienne, qui organise une série d’expositions sous le titre « Laboratoire d’Europe, Strasbourg, 1880-1930 » *. Le musée d’Art moderne et contemporain met l’accent sur les riches mouvements artistiques de cette période (avec, en ouverture, de superbes marqueteries de Spindler). Le musée des Beaux-Arts, reconstruit après les bombardements prussiens, présente le fonds constitué par Wilhelm Bode (qui fera l’acquisition de 260 tableaux à la demande de l’empereur Guillaume 1er) et la Galerie Heitz évoque une vie musicale florissante et joyeuse. De quoi faire (presque) oublier que l’Alsace était occupée !
SYLVIE MARCOVITCH * Jusqu’au 25 février 2018.
MUSIQUE
LE DOUBLE JE DES BRIGITTE
Explorant les multiples résonances de leur miraculeuse gémellité vocale, les deux sirènes du duo Brigitte reviennent avec un cinquième album aventureux et hétérogène *. Tour à tour langoureuses, enjouées ou désespérées, Aurélie et Sylvie entrelacent leurs angoisses et leurs rêves pour composer le journal intime de la femme française (à tendance parisienne). Entre pop, disco, reggae ou chanson traditionnelle, empruntant autant à Véronique Sanson qu’à Laurent Voulzy, elles envoûtent dans un canevas de mots à la poésie directe et incisive. Jamais aussi à l’aise que pour conter les amours chagrines, elles déroulent leur spleen élégant en portant aux nues l’éternel féminin. Mention spéciale pour les magiques Palladium ou Le Goût du sel de tes larmes, dont la délicatesse douce-amère torture nos âmes de plaisir bien après que la musique s’est arrêtée. Malgré des titres bavards, la bonne humeur communicative de l’ensemble nous emporte. PASCAL GRANDMAISON
* Nues (Sony Music).