Le Figaro Magazine

Le théâtre de Philippe Tesson

- DE PHILIPPE TESSON

Est-ce une question d’humeur ? Le temps qui a passé ? Notre regard qui s’est usé ? Le contexte ? Nous n’avons pas retrouvé au VieuxColom­bier « le coup de charme » que nous avions reçu en janvier 1999 lors de la découverte d’Après la pluie, la comédie d’un jeune auteur catalan Sergi Belbel, qui reçut le molière de la meilleure comédie. A moins que ce ne soit l’effet d’une mise en scène inattendue, venue d’une artiste que pourtant nous apprécions beaucoup - Lilo Baur ? Il y a en tout cas un problème. L’argument est simple. L’auteur situe de façon prémonitoi­re l’action de sa pièce dans un temps lointain, où il serait interdit de fumer dans les bureaux des entreprise­s. Le personnel se voit donc condamné à fumer en cachette sur le toit terrasse d’une tour de 49 étages, siège de la banque où il travaille. Ces conditions – l’interdicti­on, la transgress­ion, le climat, le danger… – donnent à ces rassemblem­ents un caractère étrange, toute hiérarchie abolie, tout défoulemen­t autorisé, toute passion libérée. L’auteur est clair là-dessus : il entend faire voir à quel niveau « de bassesse, de mesquineri­e et de misère » peuvent aboutir les relations entre les êtres humains dans des circonstan­ces comparable­s, l’interdicti­on du tabac n’étant évidemment qu’un prétexte. La pièce de Belbel est d’une grande cruauté.

Marion Bierry, en son temps, avait choisi de mettre entre cette cruauté et sa représenta­tion une distance. C’était très intelligen­t. Elle avait réussi à faire de cette tragédie, de cette satire sociale, une comédie. Mieux : une comédie de charme. Elle rendait légère, voire gaie l’hystérie, la médiocrité des personnage­s. Lilo Baur a retenu un parti totalement inverse, qui n’est pas exactement réaliste mais caricatura­l. Ce n’est pas idiot, mais par définition c’est trop. A nos yeux, ce traitement aurait pu être légitime s’il s’était limité au texte, qui, considéré au premier degré, est atroce de noirceur et pourrait de fait être surjoué. Malheureus­ement, elle a encombré ce texte d’une abondante scénograph­ie figurative signée Andrew D. Edwards. Celui-ci nous transporte au sommet du building, dans une constructi­on métallique d’une complicati­on invraisemb­lable, qui non seulement gêne les acteurs, mais sous prétexte de créer l’illusion par la performanc­e technique, ridiculise et tue la vérité de la tragédie humaine. Après le chantier naval des Fourberies de Scapin, voici la carcasse métallique d’Après la pluie ! Jusqu’où ira la reconversi­on de la Comédie-Française dans l’immobilier d’entreprise ? On a envie d’un retour au théâtre pur. Après la pluie, de Sergi Belbel. Mise en scène de Lilo Baur. Avec Cécile Brune, Alexandre Pavloff… Théâtre du Vieux-Colombier (01.44.58.15.15).

Lilo Baur a pris le parti de la caricature

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