CORPS À CORSE
L’île de Beauté était devenue, au fil des ans, son refuge favori. Il n’aimait rien tant que faire partager son bonheur d’y vivre.
On ne nage pas tous les jours avec un académicien. Au début, il y avait eu un coup de fil : « Cher Jean, je dois vous photographier en Corse pour Le Figaro Magazine. » La voix chevrotante et reconnaissable entre toutes s’était réjouie : « Venez, mon enfant ! Et n’oubliez pas votre maillot de bain ! »
Ensuite, il y avait eu le taxi bringuebalant sur le chemin de cailloux qui menait à son refuge, à la pointe de l’anse de Fornali, à quelques brasses de Saint-Florent. Une bâtisse de granit gris, version manoir écossais, où il s’échappait à chaque rayon de soleil ou presque depuis quarante ans. A peine étais-je arrivée, Jean d’Ormesson m’avait entraînée en sautillant pour goûter la carte postale : pas question que je reparte sans avoir aperçu au loin la vieille tour aux vestiges grignotés par le vent. Ni les crêtes rocheuses et les vallons tapissés de maquis du désert des Agriates. J’avais juste eu le temps d’empoigner mon boîtier qu’il trottinait déjà, pieds nus dans son pantalon de marin pêcheur, sur le sentier de sable qui menait au phare de Punta Mortella à l’est de la propriété. Tandis que je réglais mon appareil, il ne cessait de s’émerveiller, désireux de partager son paradis. Puis j’avais saisi ses éclats de rire tandis qu’il s’était assis quelques instants sur un muret de pierres.
Joyeux et cabotin, c’était Jean jouant avec son chapeau de paille, Jean me racontant comment il avait défendu l’entrée de Marguerite Yourcenar à l’Académie française en 1980, Jean me rejoignant en boxer de bain, le torse nu et fier, après m’avoir proposé d’aller me baigner à la fin de notre séance. Le sourire accroché aux lèvres, les bras en avant, il m’avait soudain rejointe et avait sauté sans hésitation du ponton en bois. Le goût du partage, toujours.
Photographe et romancière. Dernier roman paru : Diane dans le miroir (Mercure de France).