GAUGUIN L’ENFIÉVRÉ
GAUGUIN, de David Haziot, Fayard, 804 p., 26 €.
Mai 1891, à bord d’un ancien voilier de la Marine nationale, Gauguin voit se profiler le paradis qu’il appelle de tous ses voeux de peintre. Va-t-il trouver à Tahiti la clé de son accomplissement ? Un énième tour du monde, pour l’éternel exilé qui semble déjà avoir tout vécu et porte le poids d’aventures inabouties. Il a été officier de marine, courtier sans scrupule, conspirateur et négociant ; son tragique face-à-face avec Van Gogh lui vaut une réputation de méchant qu’il soigne avec orgueil. Un sale type, malgré son génie : l’étiquette lui survivra longtemps. Seul un travail mené avec un grand souci du détail, et doublé d’une réflexion sur l’oeuvre elle-même, pourrait la lui arracher. C’est chose faite. Plutôt que de diluer son sujet dans de hasardeux filtres romanesques, David Haziot, déjà couronné d’un prix Goncourt de la biographie, a pris l’excellent parti de citer abondamment Gauguin. Le « cerveau démoniaque », comme il se surnommait luimême, aimait écrire et ne s’en privait pas. Lettres brillantes, fiévreuses, désespérées, pour un portrait qui ne ment pas et touche, profondément. Il y a deux ans, le Qatar achetait Quand te maries-tu ? pour
300 millions de dollars, le deuxième tableau le plus cher au monde à ce jour. Gauguin avait cette toile dans sa paillote quand, affamé et sans le sou, il appelait sa femme à l’aide : « Il me faut vivre pour faire mon devoir jusqu’au bout, et je ne le peux qu’en forçant mes illusions. » ÉLISABETH BARILLÉ