LE PETIT DUC À LA FÊTE !
TOUT SAINT-SIMON, sous la direction de Marie-Paule de Weerdt-Pilorge, Bouquins/Robert Laffont, 1 120 p., 33 €.
Au volumineux massif de l’oeuvre de SaintSimon (1675-1755), dont les Mémoires sont le point culminant, les entrées du dictionnaire dirigé par la dix-huitiémiste Marie-Paule de Weerdt-Pilorge offrent autant de portes qui s’ouvrent sur des notions (de l’amitié à la vérité en passant par la nature) et des personnes (de Belle-Isle à Voltaire en passant par Louis XIV), tout en donnant à lire des extraits de l’oeuvre, immanquablement éloquents. Le regard de l’impeccable portraitiste dont la galerie, disait Taine, comporte « trois ou quatre mille coquins » y apparaît dans toute sa rigueur. Ainsi de Mézières, « homme de fort peu (…) faisant peine à voir respirer, avec cela squelette et un visage jaune qui ressemblait à une grenouille… ». Le duc et pair y apparaît aussi affligé par une monarchie dont il perçoit, en visionnaire, à quel point elle est minée. Attaché aux hiérarchies, à l’étiquette et aux rites, cet aristocrate dans l’âme à la « morgue bienséante » en décrit l’inexorable déclin au profit de ces
« nouveautés singulières, qui en produisent bientôt après de plus étranges ». Il s’indigne de la légitimation des bâtards du roi, qui bafoue les lois de l’ordre naturel, divin et politique. Il assiste, impuissant, à la corruption des moeurs et des êtres, dont il se fait le méticuleux équarrisseur en réprouvant « cet avilissement incroyable où, avec tant de soin, on prend plaisir à tout confondre ». Décidément, les chants désespérés sont les plus beaux, et les plus lucides. RÉMI SOULIÉ