Le Figaro Magazine

#BALANCE TON DIEU

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Morgan Sportès nous a écrit une lettre. « Cher Frédéric Beigbeder, vous me semblez un peu moins borné que la plupart des membres de notre pauvre république de feu les lettres françaises. [Tout flatteur… Bon, certes, admettons.] Peut-être pourriez-vous m’informer sur les « raisons » qui ont amené au total boycott de mon roman Le ciel ne parle pas. Bien évidemment, les trois ou quatre articles favorables à son égard, parus trop tard, n’ont servi à rien. Le mal est fait, le crime accompli. » Il faut entendre l’amertume de ce grand romancier. Rappelons qui est M. Sportès : l’un des initiateur­s du retour des faits divers dans la littératur­e contempora­ine. L’Appât, son roman sur l’affaire Valérie Subra, date de 1990 : dix ans avant L’Adversaire

de Carrère ! Si aujourd’hui un roman sur deux reprend une histoire vraie, c’est – après Truman Capote – beaucoup grâce à cet écrivain éminent. Tout, tout de suite, sur l’affaire Ilan Halimi, fut unanimemen­t salué à sa publicatio­n en 2011, et couronné du prix Interallié. Morgan Sportès aurait pu se contenter de décliner le principe : devenir (comme Philippe Jaenada) un genre de Pierre Bellemare des crimes sordides, si possible avec une jolie fille au milieu (dans l’affaire Subra comme dans l’affaire Halimi, une beauté diabolique est à l’origine des meurtres.) Mais son autre obsession, à part les jeunes tentatrice­s, est l’Extrême-Orient : il est notamment l’auteur de Siam (1982), Tonkinoise (1995), et Rue du Japon (1999). La publicatio­n, le 21 août dernier, après six ans de silence, du Ciel ne parle pas, s’inscrivait dans cette veine asiatique : il retrace la vie d’un missionnai­re jésuite portugais, Cristovao Ferreira, qui débarqua à Nagasaki en 1609, évangélisa les Japonais durant deux décennies, puis renia sa foi sous la torture en 1633. C’est un roman passionnan­t, spectacula­ire et documenté, sadien et illuminé, sur le fanatisme et la lâcheté, la foi et la trahison. Pourquoi un tel « boycott » ? L’injustice n’a pas d’explicatio­n, de même que les voies du Seigneur sont impénétrab­les. Les causes sont multiples : un mélange de paresse journalist­ique, d’encombreme­nt automnal et d’effet de mode (le roman historique est jugé obsolète, sauf s’il contient des nazis !). Mais surtout la malchance : en 2016, Martin Scorsese a traité exactement le même sujet dans son dernier film, Silence, où le rôle du père Cristovao Ferreira était interprété par Liam Neeson. Que M. Sportès se rassure : cela ne remet en cause ni son talent inouï ni la valeur de son livre. Et tous les vils crapauds du marigot parisien savent qu’ils ont désormais une dette envers lui.

Le ciel ne parle pas, de Morgan Sportès, Fayard, 310 p, 20 €.

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