Dans la tête de... Isabelle Carré
Avec Les Rêveurs *, la comédienne signe un premier roman personnel dont le récit tranche avec l’image de cette jeune femme discrète et lumineuse. C’est après avoir participé à un atelier d’écriture dirigé par Philippe Djian, il y a trois ans, qu’elle s’est décidée à concrétiser ce besoin ancien de raconter. Evoquer d’une plume parfaitement maîtrisée son enfance au sein d’une famille « un peu déglinguée » ; trouver les mots justes pour comprendre des parents ballottés par la vie comme des colis perdus ; dévoiler avec subtilité les envols sans filet d’une adolescente avançant en funambule sur le fil fragile d’une existence tendue entre imaginaire et réalité. Chaque chapitre déroule le scénario d’une docufiction cathartique, étonnante, sombre parfois, poétique, onirique… « Je suis une actrice connue que personne ne connaît », écrit Isabelle Carré, page 262. Ce n’est plus tout à fait vrai. Et tant mieux.
Quelle est la part de roman dans cette chronique familiale écrite à la première personne ?
C’est un roman aux nombreux accents autobiographiques. Mais je n’ai pas mené d’enquête, je n’ai interrogé personne… D’après Shakespeare, les souvenirs qu’on s’invente sont les plus beaux. Qu’on ne puisse démêler le vrai du faux me convient car c’est le regard d’une enfant, puis d’une adolescente avec tous les questionnements, l’incompréhension, parfois aussi l’exagération liée à cet âge, qui m’intéressait, avec la plus totale subjectivité.
Vous y évoquez une famille un peu déglinguée. Avec le recul, quel héritage vous a le plus servi ?
L’éducation artistique, tournée surtout vers l’art plastique. On visitait beaucoup de musées d’art contemporain, on adorait ça ! Dans les années 70, commençaient beaucoup de choses étonnantes et très ludiques comme le land art ou l’arte povera.
Quelles qualités vous ont aidée à réussir ?
« Réussir » ? Euh… Beckett dit qu’on rate toujours, quoi qu’il arrive, mais qu’on peut essayer de rater mieux ! Grâce à mon éducation, à la différence colossale qui existait entre les milieux d’où venaient mes parents, j’ai appris que la tolérance, les différences entre les êtres sont aussi des chances. Sans doute même notre plus grande richesse.
Quels auteurs vous ont accompagnée dans la vie ?
Jane Austen pour son analyse de la complexité des caractères, surtout dans Orgueil et préjugés ; Hermann Hesse et son Jeu des perles de verre ; Jean Giono avec Que ma joie demeure, qui montre le côté mortifère du repli sur soi et le bénéfice de la rencontre avec l’étranger ; Rainer Maria Rilke, qui décrit comment les gens changent de visage dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge… Puis, aussi, Patrick Modiano, Albert Cohen, Anton Tchekhov, Tennessee Williams et sa Ménagerie de verre.
Quel pouvoir accordez-vous aux mots ?
Un pouvoir immense. Celui notamment de trouver des réponses à des questions aussi bien ontologiques que pragmatiques, plus prosaïques. C’est pour ça que j’aime jouer des pièces contemporaines : elles sont en prise directe avec le présent.
Un mot qui revient souvent dans votre vocabulaire ?
« Chouette ! » et « schluck ! », plus original que « tchin ! » J’aime bien aussi valétudinaire et palimpseste.
Une citation ?
Carson McCullers, sur la solitude : « Mon problème, c’est que pendant longtemps, je n’ai été qu’un moi. Tout le monde appartient à un nous, sauf moi. »
Votre livre de chevet du moment ?
Paysage perdu, de Joyce Carol Oates.
Votre roman est-il un cadeau offert à vos enfants ?
J’adore cette question, mais je ne peux pas y répondre, seulement espérer que cela puisse en devenir un.
Quel rêve d’enfant vous accompagne encore ?
Danser un ballet à l’Opéra de Paris, mais je sais que c’est irréalisable et cela ne me gêne plus. Le rêver suffit.
Un voeu pour 2018 ?
J’espère retrouver bientôt ce plaisir immense d’écrire, de plonger pour longtemps dans une histoire : trouver mes propres mots, construire mes phrases, être obsédée par ça durant un an, deux ou plus s’il le faut !
Quel titre écouter pour commencer l’année ?
« I Want You », de Bob Dylan.
Tant que vous rêvez, vous avez la chance…
… que l’un de mes rêves se réalise.
PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE HALOCHE * Les Rêveurs, d’Isabelle Carré, Grasset, 303 p., 20 €.