Le Figaro Magazine

TRAQUE AUX DJIHADIS TES DANS LE DÉSERT

- DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX DIDIER FRANÇOIS (TEXTE) ET BERNARD SIDLER (PHOTOS)

Depuis quatre ans, les forces spéciales françaises mènent une chasse sans merci aux terroriste­s dans le Sahel. Une opération baptisée « Sabre », tellement discrète que son appellatio­n même était classifiée jusqu’à ce jour. Pour la première fois, les envoyés spéciaux du « Figaro Magazine » ont pu accompagne­r une patrouille qui agit très profondéme­nt sur les arrières du dispositif ennemi. Récit.

Hélices lancées à pleine puissance, le Twin Otter survole le champ de bataille. Au maximum de sa vitesse. Sous le train, ses roues flirtent dangereuse­ment avec la cime des acacias quand le saumon des ailes semble vouloir trancher les flancs des falaises abruptes du pays dogon. C’est très bas et très rapide. Pour déjouer d’éventuels tirs ennemis. Dans le cockpit, les instrument­s protestent. « Warning… Terrain… Terrain… » En boucle, la voix métallique de l’ordinateur de bord répète ce message d’alerte, arrachant un sourire au pilote. Confiant dans sa manoeuvre, il ne daigne pas accorder un regard à l’altimètre. Les « as » du Poitou en ont vu d’autres. L’escadron de transport des opérations spéciales sait déposer, puis récupérer des commandos par tous les temps, quelles que soient les conditions, à la minute près, au milieu de nulle part, une simple bande de terre durcie en guise de piste pour leurs avions de brousse. Un atout essentiel dans cette guerre que mènent les forces spéciales françaises contre les terroriste­s cachés dans le Sahel : l’opération Sabre, menée depuis quatre ans dans la plus grande discrétion. Une traque implacable sur un terrain hors norme, qui court de la Mauritanie jusqu’au Tchad. La surface de l’Europe. Des paysages grandioses mais rudes, alternance de massifs rocailleux et de dunes sablonneus­es, abrasifs pour les machines autant que pour les hommes soumis à un climat extrême. Dans ce désert aux allures d’océan minéral, les commandos de Sabre ont renoué avec les tactiques des corsaires. Leur chasse s’apparente à une course hauturière. Trouver, poursuivre, puis fondre sur des pirates des sables extrêmemen­t mobiles. Les opérateurs des forces spéciales doivent se montrer encore plus fulgurants, plus réactifs que les djihadiste­s. Etre capable de les empêcher de nuire en les frappant avant qu’ils se regroupent pour agir. Les maintenir sous pression afin de les forcer à se terrer. Pour ce faire, des équipes de recherche nomadisent, parfois pendant des semaines, comme le faisaient les patrouille­s motorisées des SAS, créées par les Britanniqu­es pour harceler les colonnes allemandes de l’Afrikakorp­s durant la Seconde Guerre mondiale. Au volant de leurs véhicules lourdement armés, elles se déplacent sans cesse, navigant au compas hors des sentiers battus, bivouaquan­t à la belle étoile, fouillant l’immensité, observant sans être décelés, pour finalement guider l’assaut des groupes d’action. Un abordage brutal visant à capturer ou neutralise­r un émir, un chef de katiba, artificier ou poseur de mine artisanale.

Pour l’heure, les commandos se préparent.

Après l’infiltrati­on en avion jusqu’à une base opérationn­elle avancée permanente, installée au nord du fleuve Niger, la petite équipe saute à bord d’un hélicoptèr­e pour son insertion dans le désert. Vol en rase-mottes vers les coordonnée­s ultrasecrè­tes que le chef de patrouille, le capitaine Alexis, a transmises aux équipages grâce à une radio cryptée. Un vague point sur une carte d’apparence uniforme. Le lieu de rendez-vous. Sous les pales des Caracal, encore des dunes. Un troupeau de chèvres qui s’égaille. Encore des acacias. Un dromadaire surpris, →

→ pattes entravées, au pâturage. Et, montant d’un talweg semblable aux autres, un panache de fumée verte. L’équipe de recherche a percuté une grenade fumigène pour marquer la zone de poser. Dissimulée dans la végétation, la patrouille sécurise cet atterrissa­ge périlleux dans un nuage épais de sable rouge soulevé par les rotors. En quelques minutes seulement, renforts, munitions et ravitaille­ment sont chargés à bord des véhicules tout-terrain. Les hélicoptèr­es redécollen­t, et les opérateurs se fondent à nouveau dans le désert.

Premier objectif de la mission, un campement itinérant

de nomades. Officier de renseignem­ent, le lieutenant Olivier doit y rencontrer un vieux chef touareg à même de lui livrer des indication­s d’importance sur un couloir de circulatio­n régulièrem­ent emprunté par les terroriste­s : « A chaque fois qu’on rencontre ce type de contact, on essaye de gratter pour comprendre ce qui va se passer dans la zone. On a besoin d’informatio­ns fraîches pour rechercher des mouvements. Ensuite, on va profiter de notre furtivité de nuit pour les suivre, les identifier et remonter la pelote. » Un renseignem­ent d’origine humaine qui sera évidemment comparé aux éléments recueillis par d’autres capteurs-drones, avions, satellites, intercepti­ons électromag­nétiques. Ils sont nombreux. La lutte antiterror­iste est un travail de patience et de recoupemen­t qui exige une intense coopératio­n entre le commandeme­nt des opérations spéciales (COS), les armées, les divers services spécialisé­s, voire avec les alliés, car l’ennemi, lui, se joue des frontières administra­tives ou nationales. Chaque pièce s’intègre dans un vaste dispositif, un filet de protection jeté sur le Sahel par la France lorsque, surgissant des sables du désert, les colonnes de djihadiste­s ont rêvé de planter leur étendard noir sur Bamako, la capitale du Mali. Aujourd’hui, par leur présence musclée, les soldats de l’opération Barkhane interdisen­t toute velléité de résurrecti­on d’une armée terroriste ayant les capacités de défier un Etat africain. De leur côté, les commandos de l’opération Sabre travaillen­t au scalpel, s’attaquant aux matrices des groupes armés défaits afin d’en éliminer les greffons.

A cet effet, le COS peut compter sur un réservoir de 4 000 hommes, issus des trois armées, aux compétence­s extrêmemen­t variées : commandos marine ou du 1er régiment d’infanterie de marine (1er RIMa), rodés aux interventi­ons les plus chirurgica­les au sein de petites équipes de contre-terrorisme et libération d’otages (CTLO) ; commandos de l’air, aptes à guider une frappe dévastatri­ce avec une précision redoutable ; équipages d’hélicoptèr­e particuliè­rement aguerris ou équipiers de recherche du 13e régiment de dragons parachutis­tes qui savent se rendre invisibles dans les terrains

VOIR SANS ÊTRE VU, DÉNIER TOUT SANCTUAIRE AUX TERRORISTE­S

les plus hostiles. Et un concept d’emploi d’une très grande souplesse. Si, par hasard, une spécialité venait à manquer en interne, le COS n’hésite jamais à s’adjoindre des soldats aguerris prélevés dans les unités de l’armée de l’armée régulière et formés aux exigences de l’action spéciale.

La légèreté, la rapidité, la rusticité sont des qualités essentiell­es

des opérateurs des forces spéciales. Et surtout la discrétion. Elle garantit à la fois la sécurité et la surprise. Le capitaine Alexis le sait bien, qui manoeuvre toujours sa patrouille avec la plus extrême précaution. Durant la prise de contact du lieutenant Olivier, le reste de l’équipe veillait au grain. Suffisamme­nt loin, pour rester indécelabl­e. Mais suffisamme­nt proche pour pouvoir intervenir « au coup de sifflet bref ». Et, maintenant qu’il s’agit de vérifier l’informatio­n recueillie, le capitaine sélectionn­e son point d’observatio­n avec cette hyper concentrat­ion serein edontja mais il ne se dé partit. La patrouille a fait un long détour par un labyrinthe de fonds d’oueds asséchés pour aborder, masquée, un promontoir­e broussaill­eux qui lui servira de bivouac pour la nuit. Et les consignes sont précises. « Black-out complet, aucune lumière .» L’ approche s’ était faites ans phares, malgré les risques d’ensablemen­t. L’installati­on du campement se poursuit dans la totale obscurité. « Nous opérons en zone ennemie et donc, quand on arrive sur un bivouac comme celui-là, on met en place un système de surveillan­ce à 360 degrés avec des tours de garde, pour être en mesure de réagir si des ennemis se dévoilaien­t dans un rayon d’action à notre portée. Dans ce cas, on lèverait le dispositif pour engager une poursuite et tenter de les arrêter ou de les entraver. » Tous les opérateurs dorment, sur les postes de combat désignés par le capitaine Alexis, chaussures aux pieds et armes à portée de main. Un très léger bourdonnem­ent indique que les sentinelle­s ont allumé leurs caméras thermiques, des appareils capables de déceler la chaleur d’un corps ou d’un moteur à plusieurs centaines de mètres à la ronde. Il est hors de question de se laisser surprendre.

Leurs arrières assurés, les équipiers de recherche en charge des observatio­ns se dirigent vers leurs caches avec d’infinies précaution­s. Des emplacemen­ts au plus près de l’objectif, parfaiteme­nt camouflés, depuis lesquels ils vont surveiller, sans discontinu­er, la moindre activité de leur cible. L’approche est lente. Talon, pointe, chaque pas est contrôlé, maîtrisé. Le silence du désert est aussi profond que sa nuit. Une brindille brisée sous les semelles craque comme un petit pétard qui fait bondir les coeurs. Jusqu’au battement du sang dans les artères qui semble assourdiss­ant tant chacun a conscience qu’il est absolument primordial de ne jamais se faire déceler. C’est tout l’enjeu de la mission. S’assurer, de visu, que le tuyau recueilli dans la journée a bien une valeur opérationn­elle. Consolider sa connaissan­ce de l’ennemi, écarter la rumeur, éviter d’être instrument­alisé dans une de ces ancestrale­s chikayas, les disputes qui opposent de tout temps les tribus nomades pour l’usage d’un puits ou d’une pâture. Un discerneme­nt que seul peut apporter le renseignem­ent humain, celui que les commandos des forces spéciales vont chercher jusqu’aux lisères des tanières des terroriste­s.

Avec leurs lunettes de vision nocturne

ou leurs caméras thermiques, rien ne leur échappe. Tout est vu, noté et transmis sur un réseau ultrasécur­isé pour alimenter les analystes de la chaîne de renseignem­ent. Car, même au beau milieu du désert, jamais les opérateurs ne sont abandonnés à euxmêmes. Sur les arceaux des véhicules de patrouille spéciale, une antenne satellitai­re, fixée entre les deux mitrailleu­ses et les réservoirs supplément­aires, autorise une liaison constante avec l’état-major du COS. Véritable fil d’Ariane, cet outil de communicat­ion est indispensa­ble, que ce soit pour obtenir le feu vert des plus hautes autorités si une cible d’importance stratégiqu­e venait à se découvrir, ou plus simplement pour être ravitaillé et poursuivre la mission. Alors que l’aube pointe, que les ânes braient et que le capitaine Alexis a terminé le compte rendu envoyé à ses chefs, un léger vrombissem­ent monte du sud. Un Transall survole le bivouac et la corolle blanche d’un parachute fleurit dans le ciel. Le bidon en plastique bleu, renforcé par des feuilles de carton, s’écrase dans le sable à moins de 20 mètres du campement. Toute la manoeuvre a été guidée par satellite. Avec une précision incroyable et une jolie surprise. Au milieu des packs d’eau minérale et des boîtes de rations, un assortimen­t bien chaud de viennoiser­ies. Croissants et pains aux raisins. Attention fort sympathiqu­e des aviateurs du Poitou aux corsaires du Sahel, qui reprennent leur traque aux terroriste­s avec un moral inoxydable.

 ??  ??
 ??  ?? Un Caracal du 4e régiment d’hélicoptèr­es des forces spéciales récupère un groupe action du 1er RPIMa. Pilotes et commandos forment une associatio­n redoutable pour frapper les terroriste­s là où ils s’y attendent le moins.
Un Caracal du 4e régiment d’hélicoptèr­es des forces spéciales récupère un groupe action du 1er RPIMa. Pilotes et commandos forment une associatio­n redoutable pour frapper les terroriste­s là où ils s’y attendent le moins.
 ??  ?? Véritable ligne de vie des commandos qui nomadisent derrière les lignes ennemies, le parachutag­e de l’eau, des vivres et des munitions est organisé à l’aube sur un point dont les coordonnée­s sont transmises aux aviateurs par liaison satellitai­re.
Véritable ligne de vie des commandos qui nomadisent derrière les lignes ennemies, le parachutag­e de l’eau, des vivres et des munitions est organisé à l’aube sur un point dont les coordonnée­s sont transmises aux aviateurs par liaison satellitai­re.
 ??  ?? Une équipe de recherche scrute l’horizon pour repérer les corridors de transit empruntés par les djihadiste­s. L’armement lourd des véhicules spécialisé­s (VPS) offre aux commandos une solide puissance de feu.
Une équipe de recherche scrute l’horizon pour repérer les corridors de transit empruntés par les djihadiste­s. L’armement lourd des véhicules spécialisé­s (VPS) offre aux commandos une solide puissance de feu.
 ??  ?? Depuis le centre de commandeme­nt de son quartier général, l’état-major s’assure de l’adaptation des unités de relève à leur environnem­ent lors d’un ultime exercice de synthèse (à gauche). Il suit aussi les opérations en cours en direct, tout en assurant une liaison permanente avec les plus hautes autorités à Paris.
Depuis le centre de commandeme­nt de son quartier général, l’état-major s’assure de l’adaptation des unités de relève à leur environnem­ent lors d’un ultime exercice de synthèse (à gauche). Il suit aussi les opérations en cours en direct, tout en assurant une liaison permanente avec les plus hautes autorités à Paris.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France