Le Figaro Magazine

En vue : expo « Peintures des lointains », les jolies colonies de la France

En des temps où tout prête à polémique, le musée du Quai Branly-Jacques Chirac exhume de ses réserves plus de 200 oeuvres liées au passé colonial de la France. Un pari audacieux !

- • SYLVIE MARCOVITCH

Commandés pour la majorité d’entre eux à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931, des dizaines de tableaux, dessins et gravures étaient bannis des cimaises depuis des décennies, pudiquemen­t remisés dans des sous-sols humides, invisibles à nos yeux contempora­ins. Le musée du Quai Branly-Jacques Chirac propose de les découvrir en les regardant comme les témoins d’une époque révolue : celle qui affirmait en effet haut et fort la hiérarchie des races, où l’homme blanc dominait « l’indigène » et l’exploitait sans état d’âme.

Les deux grands panneaux qui nous accueillen­t dans le hall du musée en sont l’excellent préambule. Réalisés par Georges Michel vers 1930, ils présentent les principale­s production­s d’origine végétale : bois de rose, coco, caoutchouc, manioc, copal, café, riz… récoltées par des indigènes du monde entier. Ceux-ci s’affairent sereinemen­t dans un décor joyeusemen­t exotique. Une vision lénifiante de la dure réalité locale qui faisait écho – à l’époque – à l’immense frise sculptée de 130 mètres carrés d’Alfred Janniot ornant la façade du pavillon construit pour l’occasion, Porte Dorée (baptisé aujourd’hui, assez ironiqueme­nt, musée de l’Histoire de l’immigratio­n). Le but étant clairement assumé, le visiteur se devait « d’être frappé par la puissance de l’idée coloniale capable d’inspirer un art puissant, d’où a disparu fort heureuseme­nt cet orientalis­me de bazar qui le faisait mettre, hier encore, au ban de l’art véritable », écrivait André Demaison, auteur du guide de l’expo. S’y ajoutaient portraits commémorat­ifs, scènes historique­s et « leçon d’histoire de France revue sous l’angle expansionn­iste depuis les croisades jusqu’à la Troisième République », comme le souligne Sarah Ligner, commissair­e de l’exposition. Au côté de ces oeuvres de franche propagande, le musée du Quai Branly respecte le projet initial, dont une large section était consacrée à des peintres moins « engagés ». Ce qui alors n’avait pas été du goût de tout le monde. Le peintre Fernand Sabatté, fondateur en 1929 de la revue L’Art, s’indignait : « Si Ingres, Delacroix, Corot ou Degas revenaient parmi nous, ils seraient bien étonnés de se voir classés “peintres coloniaux”. » Pour lui, l’artiste se contente de rapporter une vision personnell­e de ses voyages, vision de l’étrangeté et du pittoresqu­e. Depuis la campagne d’Egypte de Bonaparte, la guerre d’indépendan­ce grecque face à la Turquie et, en 1830, la conquête de l’Algérie, la séduction des lointains opère sans répit. Comme le souligne Victor Hugo : « L’Orient est devenu la préoccupat­ion générale. » Et quoi de mieux qu’un port comme invitation au voyage. Celui d’Alger peint par Léon Cauvy ou de Saïgon par Charles Fouqueray. Leur palette est riche d’une variété infinie de couleurs chaudes. Les bourlingue­urs sont à la mode, le mythe de l’explorateu­r est à son apogée et l’Orient fait fantasmer. Les clichés liés à l’exotisme sont au rendez-vous : femmes rêvées dans un harem comme cette douce

Odalisque (1860) de Tissier, foules bigarrées, nature sauvage, déserts impitoyabl­es… On retrouve aussi Paul Gauguin et Emile Bernard en quête d’un ailleurs primitif pour se régénérer. En 1931, c’est « le magicien du rêve tropical, le maître de Tahiti » que l’on célèbre en Gauguin.

« L’art grossier du Papou » est oublié.

On découvre aussi une magnifique galerie de portraits où, comme le soulignait Eugène Fromentin, « le goût de l’ethnograph­ie va rejoindre le sentiment du beau ». C’est la rencontre avec l’autre, l’inconnu, que l’on pourrait symboliser par ce tableau intitulé au départ Fanatique (1901), de Lucien Lévy-Dhurmer, rebaptisé par la suite, plus justement, L’Etudiant marocain ! Pour aider les artistes désirant voyager, l’Etat crée des bourses. En contrepart­ie, ils devront enseigner quelque temps dans les écoles des beaux-arts fondées aux colonies où un art local se développe comme à Madagascar (on admire l’étonnant Portrait d’un bourgeois malgache, 1899, par Louis Raoelina) ou en Indochine. Une superbe exposition riche en découverte­s.

 ??  ?? « Peintures des lointains », musée du Quai BranlyJacq­ues Chirac, Paris VIIe, jusqu’au 6 janvier 2019. Catalogue coédité avec les Editions Skira, 272 p., 45 €. Page de droite : « Baie d’Along », par Lucien Lièvre (fin des années 1920).
« Peintures des lointains », musée du Quai BranlyJacq­ues Chirac, Paris VIIe, jusqu’au 6 janvier 2019. Catalogue coédité avec les Editions Skira, 272 p., 45 €. Page de droite : « Baie d’Along », par Lucien Lièvre (fin des années 1920).

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