Le Figaro Magazine

La page d’histoire de Jean Sévillia

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Développée au Grand Siècle, la tradition des fêtes royales, princières et aristocrat­iques s’est poursuivie jusqu’à la veille de la Révolution. Mais à cette époque, de 1770 à 1789, une inflexion est apparue qui, sans anticiper sur la suite des événements, laissait percevoir une sourde inquiétude, révélant les faiblesses de l’édifice social à la fin de l’Ancien Régime. C’est ce moment que raconte, avec une érudition impression­nante, Didier Masseau, un professeur des université­s, spécialist­e du XVIIIe siècle (1). A Versailles, dans la continuité des grandes fêtes louis-quatorzien­nes, mais aussi en province et à la ville, souvent dans les folies, ces luxueuses demeures construite­s à cette fin, c’est une frénésie de festivités, de spectacles, de banquets, de bals et de feux d’artifice où le libertinag­e (dans tous les sens du terme) ouvre une parenthèse débridée dans l’esprit de sérieux des Lumières. Parsemé de piquantes anecdotes, l’ouvrage se lit aisément, mais en laissant une piètre image d’une haute société plus caractéris­ée par la recherche des plaisirs que par le souci du bien commun. Au sortir de cette lecture, on découvrira avec bonheur la figure d’Etienne de Silhouette (2). Le patronyme de cet éphémère ministre de Louis XV est devenu un nom commun car il se distrayait en dessinant, sur les murs de son château de Bry-sur-Marne, des visages tracés par une simple ligne. « Répandre le nom commun pour faire oublier l’homme hors du commun », diagnostiq­ue Thierry Maugenest. Passionné par le XVIIIe siècle, ce romancier a fait authentiqu­e oeuvre de chercheur en reconstitu­ant, à partir de documents d’archives, la vie de celui qui, lecteur de Confucius, traducteur de Pope et de Bolingbrok­e, protégé de Mme de Pompadour, est devenu pour six mois, en 1759, contrôleur général des Finances. Poussé par sa foi chrétienne et encouragé par le roi, Silhouette entreprend­ra de taxer les riches pour aider les indigents, politique qui suscitera contre lui une levée de boucliers de la part des privilégié­s, le forçant à la démission. C’est l’autre face d’avant la Révolution, celle dont la réussite aurait changé le cours de l’Histoire.

(1) Fêtes et folies en France à la fin de l’Ancien Régime, de Didier Masseau, CNRS éditions, 304 p., 24 €.

(2) Etienne de Silhouette (1709-1767). Le ministre banni de l’histoire de France, de Thierry Maugenest, La Découverte, 222 p., 18 €.

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