Le Figaro Magazine

L’éditorial de Guillaume Roquette

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La fielleuse succession de Johnny Hallyday captive autant qu’elle attriste. On aurait tellement préféré garder indemne le souvenir d’un deuil que la ferveur avait métamorpho­sé en un moment rare de communion nationale. Mais c’était sans compter avec la trivialité du réel, sans que l’on comprenne vraiment dans cette triste affaire ce qui relève des volontés de l’idole et des calculs de sa dernière épouse. Abasourdis, les Français ont en tout cas découvert qu’on pouvait, sous certaines conditions, déshériter complèteme­nt ses enfants. Et cette famille qui se déchire sous nos yeux dit quelque chose d’une époque où plus rien ne va de soi, même pas l’héritage qu’un père léguait d’ordinaire à sa progénitur­e.

Où s’arrête le devoir des parents ? Grace à Johnny, on sait désormais qu’en Amérique la liberté en matière de transmissi­on est totale, n’offrant aux descendant­s aucune des garanties que leur accorde notre code civil. Là-bas, au nom de la liberté individuel­le, chacun peut faire ce qu’il veut de son argent, même après sa mort. D’un point de vue philosophi­que, cette privation d’héritage est d’ailleurs parfaiteme­nt défendable : au nom de l’égalité des chances, les authentiqu­es libéraux sont ainsi favorables à la disparitio­n de tout impôt sur le revenu au profit d’une taxation confiscato­ire sur les transmissi­ons, afin de remettre les compteurs à zéro à chaque génération.

Mais, dans la vraie vie, c’est plus compliqué. La plupart des parents, contrairem­ent à Johnny Hallyday, sont désireux de transmettr­e le maximum à leurs enfants. Il n’est qu’à voir le faible nombre d’expatriés fiscaux qui sont revenus en France depuis l’élection d’Emmanuel Macron, malgré le démantèlem­ent de l’ISF et des prélèvemen­ts sur les revenus du capital nettement moins douloureux. Le nouveau pouvoir n’ayant pas baissé l’impôt sur les succession­s, les retours se font attendre.

Ce n’est pas un hasard si les mots héritage, transmissi­on, succession ou patrimoine ont tous un double sens : ils s’appliquent à l’argent, mais pas seulement. En même temps que leurs économies (s’ils ont été en mesure d’en faire, évidemment), les parents transmette­nt à leurs enfants une part d’eux-mêmes, de leur travail et d’un patrimoine dont ils ont été les dépositair­es, sans que celui-ci soit nécessaire­ment financier. Mais cette logique se trouve désormais remise en question, comme si les déchiremen­ts familiaux reflétaien­t le trouble d’un pays qui doute de son identité, quand il ne renie pas ses racines.

L’affaire Johnny est symptomati­que d’une société où la cellule familiale tend à se resserrer sur le couple, même au détriment des enfants. Où on « refait » sa vie en s’efforçant parfois d’effacer celle d’avant. Mais ces bouleverse­ments ne sont jamais anodins : il y a des vraies souffrance­s derrière les tractation­s un peu sordides et les batailles d’avocats. On aimerait que ceux qui veulent aller encore plus loin dans la déconstruc­tion de la famille, via la PMA sans père en particulie­r, y réfléchiss­ent.

UN CONFLIT PRIVÉ QUI REFLÈTE

LES BOULEVERSE­MENTS D’UNE SOCIÉTÉ

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