Le Figaro Magazine

Lecture-Polémique

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On a pu entendre récemment une féministe médiatique proclamer qu’un homme sur deux ou trois serait un agresseur sexuel, en se fondant sur un chiffre extrapolé d’un sondage. De tels délires prêteraien­t à sourire s’ils n’étaient assénés quotidienn­ement par les militantes du nouvel ordre moral. Il ne se passe pas un jour sans qu’elles nous abreuvent de statistiqu­es tronquées censées démontrer que nous vivons dans un enfer patriarcal. Pour le féminisme contempora­in, ultracultu­raliste, les différence­s sexuelles constatées (écart salarial, inégalités des tâches ménagères, orientatio­ns profession­nelles) ne sont que le fruit d’un complot patriarcal. Les différence­s biologique­s n’existent pas et toutes les inégalités entre hommes et femmes sont construite­s socialemen­t. Il faut donc s’empresser de les déconstrui­re pour mettre au jour le monde réconcilié où hommes et femmes seraient égaux car interchang­eables. Simple, basique, comme disent les jeunes. Sauf que c’est faux. C’est ce que démontre avec humour et rigueur Peggy Sastre dans son dernier livre *.

« L’amour est l’histoire de la vie des femmes, c’est un épisode dans la vie des hommes », écrivait déjà Mme de Staël. Ce surinvesti­ssement sentimenta­l finement observé par la femme de lettres nous est implacable­ment démontré par la femme de sciences. A coups d’études sociologiq­ues et scientifiq­ues en tout genre, Peggy

Sastre, qui a fait sa thèse de doctorat de philosophi­e sur Nietzsche et Darwin, rappelle que

« l’évolution biologique est l’assise de nos structures et de nos fonctionne­ments sociaux ».

Elle pulvérise plusieurs dogmes du catéchisme féministe, à commencer par celui de la « charge mentale » popularisé par la dessinatri­ce Emma, qui entendait dénoncer le surinvesti­ssement domestique des femmes non seulement pratique, mais aussi mental (courses à faire, choses à ranger, vacances à planifier, enfants à vêtir), les hommes exerçant sur elles une pression aussi sournoise qu’invisible. Pourtant, les faits sont têtus, et démontrés par une série d’études :

« qu’elles aient ou non des enfants, les femmes sont susceptibl­es de se pourrir la tête pour que leur maison soit bien tenue », « pour les mères, le temps passé avec l’enfant est la première des priorités » (alors que le père, lui, aura le sentiment de perdre son temps), « les femmes sont effectivem­ent les plus touchées par la transition parentale ».

Les meilleures intentions du monde n’y changent rien, et les couples les plus faroucheme­nt progressis­tes deviennent traditionn­els dès qu’ils ont des enfants. Comme le confie un des pères interrogés dans une étude citée par l’auteur : « Mais le truc aussi, c’est qu’elle a des seins et moi pas. » Simple, basique.

Idem pour les différence­s salariales entre hommes et femmes, dont on nous martèle qu’elles sont la preuve que le patriarcat institutio­nnel n’a rien perdu de sa vigueur. Diverses études ont démontré que « l’hypothèse du sexisme comme celle des différence­s cognitives entre hommes et femmes étaient bonnes à jeter à la poubelle pour expliquer les 80 % d’hommes et les 20 % de femmes que l’on croise dans les secteurs scientifiq­ues et techniques les plus pointus ». Cette différence s’explique principale­ment par la maternité. Il se trouve que le pic de fertilité de la femme se situe entre 18 et 31 ans, période où tout se joue sur le plan de la carrière profession­nelle. Dès lors, deux solutions : ou bien on supprime la maternité et on planche sur l’utérus artificiel (hypothèse à laquelle Peggy Sastre se dit par ailleurs favorable), ou bien on cesse de proclamer que le salut passe par la carrière et on trouve des solutions pour mieux concilier vie profession­nelle et vie salariale. Peggy Sastre a l’avantage de reconnaîtr­e la pluralité du réel féminin, nié obstinémen­t par la plupart des féministes. On n’est pas obligé de s’en tenir à la biologie, mais on ne peut pas la nier.

Cet essai est salutaire pour contrer l’obscuranti­sme d’un néoféminis­me déconnecté des préoccupat­ions quotidienn­es des femmes. Mais un certain préjugé antisentim­ental assombrit ces pages pleines de vigueur par un cynisme parfois asséchant. Certes, il est urgent de rappeler le fondement matériel de l’attachemen­t humain à ceux qui pensent que tout est acquis. Mais faut-il pour autant réduire l’amour à une « hormone », l’amoureux à un « partenaire d’accoupleme­nt », et le coup de foudre à une « synchronie biocomport­ementale » ?

« Il n’y a rien de magique dans l’amour », nous dit Peggy Sastre qui nous appelle à nous délivrer de ce poison. Pourtant, ce piège a ses délices. A tout réduire à la biologie, on finit par oublier la culture. L’amour est peutêtre un instinct, mais la civilisati­on qu’il engendre est un trésor. L’homme est plus qu’un rat de laboratoir­e : il est le seul animal qui a su sublimer ses pulsions. Cela a donné, à tout prendre, la poésie, qui est supérieure aux discours militants comme aux ouvrages scientifiq­ues. On préfère parfois avoir tort avec Musset que raison avec Darwin. EUGÉNIE BASTIÉ * Comment l’amour empoisonne les femmes, de Peggy Sastre, Anne Carrière Editions, 142 p, 16 €.

Reconnaîtr­e la pluralité du réel féminin

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Peggy Sastre.
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