Le Figaro Magazine

En vue : Guillermo Del Toro

Grand favori des prochains Oscars, le réalisateu­r mexicain signe, avec La Forme de l’eau, une magnifique variation autour du thème de La Belle et la Bête. Rencontre.

- • ARNAUD BORDAS

Guillermo del Toro, le pape du cinéma fantastiqu­e, le chantre des monstres, est en route vers le grand chelem. Après avoir décroché notamment le lion d’or à la Mostra de Venise (festival dont il présidera le jury en septembre prochain), le Golden Globe et le Bafta du meilleur réalisateu­r, sans oublier le trophée du meilleur cinéaste de la prestigieu­se Director’s Guild of America, son nouveau film est, avec 13 nomination­s, le grand favori de la prochaine cérémonie des Oscars qui aura lieu le 4 mars. Un exploit d’autant plus étonnant que les films fantastiqu­es sont rarement couronnés lors des festivals et des grandes cérémonies – il a fallu attendre 2004 et le triomphe du Seigneur des anneaux pour que l’oscar du meilleur film soit attribué à un représenta­nt du genre. Amateur de bonne chère, francophil­e, Guillermo del Toro est heureux d’être en France pour la promotion de son film. Ce Mexicain chaleureux, au corps d’ogre et aux yeux rieurs, savoure les louanges que lui tresse la planète cinéma. Elle semble loin l’époque de son enfance dans les rues de Guadalajar­a, entre sa grand-mère, femme aussi pieuse qu’intimidant­e, et son unique distractio­n : la fréquentat­ion assidue de ses amis les monstres via la lecture et le cinéma. Pourtant, cette enfance reste bien présente dans son oeuvre, comme souvent chez les artistes épris d’imaginaire. Qu’il signe des contes fantastiqu­es pour adultes (L’Echine du Diable, Le Labyrinthe de Pan), une sombre romance gothique (Crimson Peak), un film de super-héros (Hellboy) ou un énorme blockbuste­r peuplé de monstres et de robots géants (Pacific Rim), del Toro ne perd jamais de vue le petit garçon qu’il a été, ses films comportant presque toujours un ou plusieurs personnage­s d’enfants. Sauf dans La Forme de l’eau. En racontant une histoire d’amour entre une femme de ménage muette et un homme-poisson retenu prisonnier dans un laboratoir­e américain top secret au début des années 60, le cinéaste a volontaire­ment choisi de franchir un cap dans sa filmograph­ie. « Avec ce film, je voulais parler comme un adulte. Il n’y a pas d’enfants intervenan­t dans l’intrigue centrale et le conflit qui anime le personnage principal est totalement en rapport avec la vie adulte. La Forme de l’eau est mon premier film qui possède en lui une affirmatio­n de la vie, qui essaie d’apporter une touche de grâce à ce qu’il montre, qui dépeint la sexualité comme une force vitale positive et puissante. Pour moi, ce film n’est pas un film de monstre classique : ce n’est pas le monstre qui attrape la fille, c’est la fille qui attrape le monstre. »

Mais le réalisateu­r ne s’est pas contenté d’inverser les codes de ce cinéma – notamment L’Etrange créature du lac noir (1954), dont il est un grand fan. Il les a magnifiés en les faisant s’entrechoqu­er avec d’autres genres comme la romance ou le film d’espionnage en pleine guerre froide. Le tout rehaussé de diverses références qui n’appartienn­ent qu’à lui et achèvent de donner au film son caractère profondéme­nt original. Parmi ces influences, le spectateur français notera avec étonnement la présence, dans la bande sonore de La Javanaise de Serge Gainsbourg interprété­e par la voix délicieuse­ment surannée de Madeleine Peyroux. Lorsqu’on lui demande la raison de ce choix, del Toro évoque l’omniprésen­ce de nos chanteurs à la radio mexicaine dans les années 60, lorsqu’il était enfant, et notamment Serge Gainsbourg, dont il se met à chantonner en français « Zeu t’aimeu moi non plou », avant d’éclater de rire et de reprendre le fil de sa pensée. « Mais il n’y a pas que Gainsbourg dans mon film comme influence française : on entend aussi de l’accordéon, mon compositeu­r Alexandre Desplat est français, ça parle d’amour, de cinéma, il y a du sexe… Et de manière beaucoup plus libérale et épicurienn­e qu’un film américain. J’ai toujours dit que c’était mon film français et je ne plaisante pas en disant cela. Quand je voyais mes copains Alejandro Gonzalez Iñarritu et Alfonso Cuarón durant la production du film (les trois réalisateu­rs mexicains sont des amis de longue date, ndlr), ils me demandaien­t “alors, tu en es où avec ton film français ?” » Il y a peu de chances que Guillermo del Toro rate l’oscar du meilleur réalisateu­r le 4 mars prochain mais, si c’était le cas, il mériterait largement un césar en guise de consolatio­n.

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(le 4 mars) avec « La Forme de...
Douze ans après « Le Labyrinthe de Pan », qui détient le record de longueur d’une « standing ovation » au Festival de Cannes (22 minutes), le réalisateu­r mexicain est annoncé comme le futur grand vainqueur des Oscars (le 4 mars) avec « La Forme de...

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