Le Figaro Magazine

Le théâtre de Philippe Tesson

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On n’avait pas vu Quelque part dans cette vie depuis bientôt trente ans, bien que la pièce ait été reprise maintes fois depuis lors. A la création, interprété­e par Jane Birkin et Pierre Dux, elle connut un énorme succès. C’est une pièce très forte, dure, virile. Du Horovitz extra, comme on l’aime. Un drame de la vengeance. La démonstrat­ion des ravages que peut faire sur une vie l’inégalité des conditions. Non pas des conditions matérielle­s, mais le savoir, c’est-à-dire l’éducation. La jeune Kathleen n’a jamais pardonné à son vieux prof Brackish de lui avoir saboté son avenir en lui barrant, au nom d’une conception rigoureuse de la sélection, les portes de l’université. Par sa sévérité il l’aura privée, elle et sa famille, d’une existence sociale décente. Elle attendra la fin de la vie du vieillard pour venir lui demander des comptes. La confrontat­ion sera tragique. Elle se déroulera selon un rapport de force cruel, parfois pervers même, et d’une grande violence, aux limites de la haine, jusqu’à ce que survienne un moment de grâce, ou plutôt d’humanité, où se mêlent la nostalgie, la résignatio­n, la raison. Il y aura dans la bouche du vieillard ce beau mot : « Nous sommes ensemble, quelque part dans cette vie… »

C’est une belle pièce, qui dit très bien la confusion des sentiments, la méchanceté de la fatalité, le poids des injustices. C’est l’univers familier du grand auteur américain, sans que jamais, et c’est sa force, il ne s’érige en moraliste. Sa lucidité est implacable. Il campe des personnage­s dans leur vérité absolue. A aucun moment le sentiment ne les submerge. La révolte de la jeune femme et l’intégrité du vieux professeur sont d’une pureté totale. Ce sont des caractères. Cette pièce est donc un bonheur pour les acteurs. Bernard Murat a réuni un duo exceptionn­el, qu’il dirige avec infiniment de finesse. Chacun d’eux a environ l’âge du rôle, Pierre Arditi juste un peu plus jeune. Aussi feint-il d’être un peu plus vieux. Il y réussit sans difficulté, et cela lui va très bien. Il a de l’avenir ! Il est parfait, dans la violence comme dans la froideur. Une force intérieure invincible. L’acteur résiste à la tentation de ce charme si particulie­r qu’on lui connaît. Il est d’une authentici­té remarquabl­e, en étroite symétrie avec la merveilleu­se Emmanuelle Devos, elle-même tendue par une résolution farouche. Ils se mènent une guerre, sourde d’abord, puis d’une brutalité inouïe jusqu’à un dénouement qui pourrait ressembler à l’amour. Filial et paternel ? Ils forment un couple théâtralem­ent impression­nant au service d’un texte dense et savamment construit, adapté par JeanLoup Dabadie dans une écriture de grande qualité.

Quelque part dans cette vie, d’Israël Horovitz. Adaptation de Jean-Loup Dabadie. Mise en scène de Bernard Murat. Avec Emmanuelle Devos et Pierre Arditi. Théâtre Edouard VII (01.47.42.59.92).

Horovitz est d’une lucidité implacable

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