Dans la tête de... Louis Albert de Broglie
Quel jardinier n’aime pas faire des boutures de ses plus belles créations ? Depuis que son château de la Bourdaisière, en Touraine, est devenu un lieu dédié à l’observation, la préservation et la transmission du « patrimoine de la terre », Louis Albert de Broglie sème ses idées, en France et à l’étranger, avec l’ambition de repenser l’aménagement du territoire autour d’écosystèmes interconnectés, intégrés, associant nature, art et éducation. Président de Deyrolle, il vient de signer un accord-cadre avec les autorités chinoises et le groupe Fangsuo, leader dans le monde de la culture et du design, pour concevoir, dans le Sichuan, un parc culturel, écologique et touristique franco-chinois baptisé Terra Panda.
Quel savoir-faire français a séduit les Chinois ?
Le président de Fangsuo, Mao Jihong, a été impressionné par cette société Deyrolle qui, vieille de 200 ans, partenaire de la COP21, offre une vraie vision innovante de l’écologie grâce à des écosystèmes interconnectés reposant sur le socle nature-art-éducation. Terra Panda mobilisera les savoir-faire des entreprises et institutions françaises et chinoises pour mieux sensibiliser le public à la nécessité de préserver la nature et la biodiversité : un impératif que le panda symbolise déjà à travers le monde.
En quoi ce projet est-il vraiment novateur ?
Ce n’est pas un parc écologique classique. Il y aura huit pôles interconnectés : un centre du panda, une ferme en agroécologie et agroforesterie, une école alternative, un centre de médecine connectée, un centre de recyclage, un incubateur, un centre de conférences, un musée croisant sciences naturelles et art dont l’architecture inspirée de l’arche de Noé abritera tout ce qui est nécessaire à une société reconnectée à la nature, autonome et résiliente.
Vous évoquez la création d’une école alternative. Que doit-on réapprendre ?
Le développement durable, l’autonomie... Vous ne pouvez pas avoir une population qui ne sait plus ce qu’elle mange, qui ne cultive plus sa nourriture, qui ne connaît plus rien de la préservation et de la transformation du vivant. Comment va-t-elle s’adapter en cas de pénurie alimentaire, de stress hydrique ? Mal, on le voit déjà. Nous devons réapprendre ce qu’est la biologie, retrouver la conscience de notre rapport au vivant. Il faut recréer un cercle vertueux qui reconnecte physiquement la société à cette terre qui nous nourrit et nous soigne.
Que pense le créateur du Conservatoire de la tomate des produits made in Italy faits avec du concentré de tomates chinoises ?
Vous parlez du livre de Jean-Baptiste Malet, L’Empire de l’or rouge. Enquête mondiale sur la tomate d’industrie… Des politiques incitatives devraient favoriser une vraie culture de la production agricole biologique, sur de petites surfaces, avec l’idée de faire de très bons produits. C’est cela, la permaculture. La diversité, qui est le témoin de la richesse d’un territoire, est la seule réponse à opposer à la globalisation.
Comment éveiller les consciences écologiques ?
Aujourd’hui, on ne sait pas où vont nos déchets ni leur vraie valeur. L’enjeu est d’arriver à une transformation immédiate et locale. Au Japon, les déchets humides sont recyclés dans les sous-sols des immeubles pour devenir du compost, vendu ou utilisé pour créer des jardins suspendus. Les incubateurs sont des lieux d’expérimentation où l’intelligence permet d’oser, d’aller plus loin dans la transformation des produits. Savezvous que l’on peut faire des pigments de teinture avec la peau des tomates, de la ficelle avec les plants de tomates en fin de vie ?
Reste-t-il difficile d’entreprendre en France ?
Bien sûr. On a fait beaucoup de progrès, mais la culture du risque n’est pas partagée par les investisseurs, par les banques. L’échec reste mal vécu alors que nous avons plus d’entrepreneurs potentiels que dans bien d’autres pays.
Vos combats sont ambitieux. Qu’est-ce qui vous permet de rester optimiste ?
On n’a pas le choix, c’est le principe darwinien de la vie : si on n’avance pas, on se fait bouffer. Et puis, quand vous avez des enfants, même si moi je n’en ai pas, vous cherchez la façon d’améliorer l’avenir pour les générations futures. Impossible d’être résigné !
Par où commencer ?
Une des priorités est de faire en sorte que notre responsabilité individuelle soit au service de la responsabilité collective. Et non le contraire.
La devise de votre famille est « Pour l’avenir ». Qu’est-ce qui vous fait avancer ?
Ma famille a grandement servi le pays. Si je peux contribuer à cet engagement, je serai fier, mais rien n’est encore réussi, on est sur le chemin… Je pense vraiment que des solutions innovantes et concrètes peuvent répondre à une partie des défis environnementaux et sociétaux d’aujourd’hui.
PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE HALOCHE