La page d’histoire de Jean Sévillia
De janvier à avril 1967, quel fut le second best-seller dans les librairies françaises ? Le Petit Livre rouge de Mao, avec 150 000 exemplaires vendus en quatre mois. Ce chiffre – ahurissant – est cité par François Hourmant. Maître de conférences en science politique à l’université d’Angers, il avait publié un ouvrage instructif sur les « voyages Potemkine » (comme il y eut des villages Potemkine) par lesquels les régimes communistes d’URSS, de Cuba et de Chine baladèrent des intellectuels occidentaux dans leurs pays respectifs afin que, rentrés chez eux, ils s’en fassent les propagandistes (Au pays de l’avenir radieux. Voyages et témoignages des intellectuels en URSS, à Cuba et en Chine populaire, Aubier, 2000). François Hourmant revient indirectement sur le sujet en racontant l’histoire du maoïsme français. En 1966, Mao, déjà responsable de dizaines de millions de morts, lance la Révolution culturelle. L’opération, qui consiste à faire table rase de l’ancienne Chine, se soldera par 5 millions de victimes supplémentaires. C’est le moment, pourtant, où le dirigeant chinois devient une icône pour des organisations maoïstes (Mouvement communiste français marxisteléniniste, Parti communiste marxisteléniniste de France) aux divergences byzantines, mais dont le point commun est un invraisemblable aveuglement idéologique devant ce qui se passe en Chine. Tandis que les délégations de ces groupuscules se rendent en pèlerinage à Pékin, les militants prêchent la bonne parole dans les usines françaises où les ouvriers leur réservent un accueil incrédule. De 1971 à 1976, la revue Tel Quel, fondée par Philippe Sollers, fournit une caution littéraire à cette maomania délirante, et De la Chine, le livre de Maria-Antonietta Macciocchi, une députée communiste italienne tombée elle aussi dans le panneau, fait un tabac boulevard Saint-Germain, là où l’on porte des vestes Mao griffées Pierre Cardin. Passons sur les écrits dithyrambiques d’Alain Peyrefitte, parfois mieux inspiré, en rappelant que la mort de Mao, le 9 septembre 1976, fut saluée par un communiqué du président Giscard d’Estaing, saluant en lui un « phare de la pensée humaine ». Comme quoi le maoïsme, cette farce sinistre, avait frappé à gauche comme à droite.