LES PRISONNIERS DU CAUCASE
★★★★ TESNOTA. UNE VIE À L’ÉTROIT, de Kantemir Balagov, avec Darya Zhovner.
Le versant nord du Caucase a une spécialité : le kidnapping. De cette séculaire réalité locale, le Balkar Kantemir Balagov, 26 ans, élève du grand Sokourov, a tiré un premier long-métrage qui le catapulte parmi les futurs grands noms du cinéma russe. Tesnota débute donc par l’enlèvement d’un couple de jeunes fiancés. Affaire crapuleuse doublée d’une dimension religieuse ethnique, civilisationnelle, sociale : dans cette région musulmane proche de la Tchétchénie, la famille des victimes appartient aux derniers
« Juifs des montagnes »… et ne roule pas sur l’or. Prétexte idéal, surtout, qu’utilise Balagov pour développer à la fois son art de la mise en scène et de la direction d’acteurs (surtout la rêveuse et rebelle Darya Zhovner) et sa vision du monde. Dévidant une pelote scénaristique digne des tragédies grecques, filmant ses personnages avec une audace formelle époustouflante (écran carré, gros plans insistants, éclairages ultrasoignés…), le jeune cinéaste offre un tableau inédit et extraordinaire d’une communauté partagée entre l’isolement (moyen de survie et de pérennité) et l’ouverture (moyen de survie au risque de la pérennité). Dilemme aux atours ici exotiques mais universel. JEAN-CHRISTOPHE BUISSON