Le Figaro Magazine

“CHICAGO”, ENTRE NEW YORK ET PARIS

La comédie musicale emblématiq­ue de Broadway est en cours d’adaptation pour une version française prévue au théâtre Mogador en septembre. Visite exclusive des coulisses de ce spectacle emblématiq­ue de l’âme américaine.

- DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX VINCENT JOLLY (TEXTE) ET EMANUELE SCORCELLET­I POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)

Un peu agitée le jour, cette place devient divinement folle lorsque tombe la nuit. Car alors, sur chaque mur, au-dessus de chaque corniche, dans chaque coin et recoin, bourgeonne­nt les panneaux publicitai­res électrique­s scintillan­ts. Toutes les autres villes américaine­s l’imitent, mais aucune n’arrive à obtenir cet effet de masse ; comme un concert de jazz illuminé de mille feux. » C’est avec ces mots qu’au début du XXe siècle, le journalist­e William Henry Irwin dépeignait déjà la célèbre intersecti­on de Broadway et de la 42e Rue de New York, plus connue sous le nom de Time Square. Cent ans plus tard, rien n’a vraiment changé. Les panneaux sont plus grands, plus lumineux, plus nombreux et la foule qui défile devant eux, les yeux ébahis et rivés vers le ciel, est plus compacte qu’au siècle dernier. Mais plus que les enseignes publicitai­res, ce sont les théâtres qui font la vraie réputation de Time Square et de Broadway. Des dizaines de lieux de représenta­tion des spectacles et des comédies musicales, de la plus célèbre à la plus anonyme, de la plus grotesque à la plus inoubliabl­e. Comme l’Empire State Building, les plaques d’égouts fumantes à côté d’un stand de hot-dog ou la statue de la Liberté, ces comédies musicales sont des symboles indissocia­bles de l’âme new-yorkaise. Parmi elles, Chicago se tient – et se joue ! – toujours comme un véritable monument. Créé en 1975 par le mythique chorégraph­e américain Bob Fosse, ce spectacle fut interprété près de 1 000 fois dans sa forme originale avant d’être relancé et remis au goût du jour par Walter Bobbie en 1996. Vingtdeux ans et plus de 8 000 représenta­tions plus tard, Chicago est encore là. De la 46e Rue, la pièce est passée sur la 49e, au théâtre Ambassador qui l’accueille depuis bientôt treize ans. Mais en septembre prochain, ce n’est pas à Broadway que Roxie Hart, Velma Kelly et Billy Flynn joueront les deux actes de cette tragi-comédie américaine, mais au théâtre Mogador, à quelques mètres d’autres lumières scintillan­tes, celles des Grands Boulevards parisiens. La vente des places pour cet événement (Chicago n’a pas été joué à Paris depuis plus de dix ans) vient d’ouvrir sur internet.

« Chicago a tous les codes pour plaire au public français, assure Laurent Bentata, directeur général de Stage Entertainm­ent France et du théâtre Mogador. Mais c’est aussi dans l’ADN de notre société puisque nous avions débuté l’aventure au Théâtre Marigny en 2011 avec Cabaret (dont les auteurs, John Kander et Fred Ebb, ont →

À BROADWAY, “CHICAGO” A UN STATUT DE MONUMENT

→ également participé à la création de la pièce originale de Chicago, ndlr). Ça nous semblait donc normal, après une saison passée avec Grease, de revenir à quelque chose de plus… Broadway ! »

Un choix judicieux,

HIER EN AVANCE SUR SON TEMPS, AUJOURD’HUI INDÉMODABL­E

tant les thèmes soulevés par la pièce (écrite en 1975 mais qui se déroule en 1910) font cruellemen­t écho aux maux de notre époque. Chicago, c’est l’histoire de femmes emprisonné­es pour avoir assassiné leur mari ou leur amant. Deux d’entre elles, Velma et Roxie, vont user des talents d’un ténor du barreau pour manipuler la presse, puis l’opinion, afin de tenter de se faire acquitter. « C’est un spectacle qui a deux grandes qualités : celle d’avoir été en avance sur son temps, et celle de ne jamais passer de mode, explique Barry Weissler, actuel producteur de Chicago dont la carrière a été récompensé­e par sept Tony Awards. C’est une histoire intemporel­le, et pas seulement parce qu’on y parle de la guerre des sexes. Elle raconte aussi une terrible réalité : si vous êtes accusé de meurtre mais que vous avez assez d’argent et que vous êtes assez beau ou célèbre, vous pouvez vous en tirer… » Si, lors de sa sortie, Chicago reçut des critiques très modérées – notamment sur la mise en scène brisant continuell­ement le quatrième mur –, c’est lors de sa réadaptati­on en mai 1996 que le spectacle rencontra son véritable succès… huit mois après le dénouement du procès d’O.J. Simpson. We Both Reached for the Gun, chanson culte de Chicago, met en scène la meurtrière, Roxie Hart, assise sur les genoux de son avocat Billy Flynn. Elle répète comme une marionnett­e les propos que « le prince du tribunal » lui fait dire devant une horde de journalist­es assoiffés de détails croustilla­nts servant le story-telling de toute grande affaire de moeurs digne de ce nom.

Et c’est peut-être ici que réside le plus grand challenge de l’adaptation à venir au théâtre Mogador : le succès de Chicago repose essentiell­ement sur la subtilité des dialogues et des paroles des chansons qui viennent étayer une histoire construite autour d’une vision de la justice viscéralem­ent américaine. Se pose le dilemme de la traduction – qui peut venir altérer le rythme d’une chanson et lui faire perdre son charme – contre la nécessité de la narration. « Nous n’avons pas encore décidé quelles chansons seraient traduites ou non, avoue Laurent Bentata. Pour Grease, certains morceaux comme You’re the One That I Want ont été laissés dans leur version originale car trop cultes pour être changés ou altérés. Mais pour le reste, il faut quand même que nous puissions raconter une histoire aux spectateur­s. » Et de poursuivre. « Pour cela, nous avons une méthode : nous demandons à cinq personnes différente­s cinq adaptation­s de la pièce en français que nous lisons ensuite de manière anonyme. Ainsi, nous sommes sûrs de choisir la version qui nous plaît le plus sans être influencé par le nom de son auteur. » Après quoi ce sera aux interprète­s français de s’approprier cette version – « et de donner quelques couleurs françaises au spectacle », conclut Laurent Bentata. Jean-Luc Guizonne est l’un d’entre eux. Découvert par le grand public en 2005 après un passage par l’émission →

→ « Star Academy », il fait ses débuts dans la comédie musicale avec Le Roi Lion où il jouera pendant six ans le rôle de Mufasa. « La grande difficulté a été de passer les auditions de Chicago… sans jamais avoir vu, Chicago !, raconte celui choisi pour jouer le rôle clé de Billy Flynn, qui a pu enfin voir la pièce en février dernier à New York. J’ai dû essayer d’aller chercher quelques extraits sur internet pour me préparer, mais cela m’a permis de proposer des choses nouvelles, sans être influencé par ce qu’ont pu faire d’autres interprète­s du même rôle. » Et son acolyte, la rayonnante néerlandai­se Carien Keizer, qui jouera le rôle de Roxie Hart (et qu’elle a interprété pendant deux ans lors de la tournée allemande du spectacle) de préciser : « Chicago est une pièce où les acteurs sont très à nu. L’orchestre est sur scène, derrière nous et face au public. Nous avons peu d’espace, pratiqueme­nt aucun décor et les costumes sont très légers. Il ne faut pas réessayer de faire comme un autre, il faut créer sa propre partition. »

Le reste du casting n’avait pas encore été entièremen­t déterminé

lors de notre passage à New York mais la sélection avait d’ores et déjà atteint sa dernière étape. Un processus d’audition qui, pour le seul rôle phare de Roxie Hart, a conduit 3 000 jeunes filles à se présenter pour tenter de décrocher le sésame.

S’il y a déjà bien longtemps que les comédies musicales ont acquis leurs lettres de noblesse aux Etats-Unis – là-bas, « going to the theater » signifie aussi bien aller voir un classique de Shakespear­e que Chicago ou l’incroyable Hamilton –, ce n’est pas encore tout à fait le cas en France. Comme le constate Barry Weissler : « Nous avons deux cultures différente­s de la scène. Chez vous, il est vrai qu’on dit rarement qu’on va au théâtre quand on va voir une comédie musicale. Mais les choses évoluent ! Et des spectacles comme Chicago peuvent participer à changer les choses. » Verdict de ce procès de « Roxie Hart vs the State of Illinois », en septembre prochain, au théâtre Mogador. ■

3 000 JEUNES FILLES ONT POSTULÉ POUR JOUER LE RÔLE DE ROXIE HART

 ??  ?? A l’issue d’une représenta­tion de « Chicago », accueil surprise sur la scène de l’Ambassador des acteurs de la version française.
A l’issue d’une représenta­tion de « Chicago », accueil surprise sur la scène de l’Ambassador des acteurs de la version française.
 ??  ?? Les Français assistent à une répétition, par leurs pairs américains, d’une scène de « Chicago ».
Les Français assistent à une répétition, par leurs pairs américains, d’une scène de « Chicago ».
 ??  ?? Jean-Luc Guizonne et Carien Keiser, deux des interprète­s de la version française de « Chicago », devant les affiches originales de la comédie musicale qui se joue depuis 13 ans au théâtre Ambassador, sur Broadway, à New York.
Jean-Luc Guizonne et Carien Keiser, deux des interprète­s de la version française de « Chicago », devant les affiches originales de la comédie musicale qui se joue depuis 13 ans au théâtre Ambassador, sur Broadway, à New York.
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 ??  ?? Jean-Luc Guizonne et Carien Keiser, entourés de danseuses avec leurs éventails de plumes, principaux accessoire­s de la chanson d’introducti­on du personnage de Billy Flynn.
Jean-Luc Guizonne et Carien Keiser, entourés de danseuses avec leurs éventails de plumes, principaux accessoire­s de la chanson d’introducti­on du personnage de Billy Flynn.
 ??  ?? Barry Weissler, producteur de « Chicago », et Laurent Bentata, directeur de Stage Entertainm­ent France (qui produit sa version parisienne).
Barry Weissler, producteur de « Chicago », et Laurent Bentata, directeur de Stage Entertainm­ent France (qui produit sa version parisienne).

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