Le Figaro Magazine

36 Lecture-Polémique

- JUDITH WAINTRAUB

PGrave dysfonctio­nnement des forces de l’ordre ce soir-là

rès d’un an : c’est le temps qu’il aura fallu à la justice pour reconnaîtr­e le caractère antisémite du meurtre de Sarah Halimi, cette Française juive de 67 ans torturée aux cris d’« Allah akbar ! » dans son appartemen­t parisien de Belleville, puis défenestré­e, dans la nuit du 3 au 4 avril 2017. Près d’un an de bataille pour la famille de la victime. La juge d’instructio­n Anne Ihuellou, qui avait mis son bourreau Kobili Traoré en examen le 10 juillet pour meurtre, n’a retenu l’antisémiti­sme de ce Franco-Malien de 28 ans comme circonstan­ce aggravante que la semaine dernière. Dès juillet, lors de la commémorat­ion des 75 ans de la rafle du Vél’ d’Hiv, Emmanuel Macron avait pourtant demandé à la justice de faire « toute la clarté » sur ce meurtre, « malgré les dénégation­s du meurtrier ». Au risque de se voir reprocher d’enfreindre la séparation des pouvoirs.

Dans L’Affaire Sarah Halimi, Noémie Halioua, responsabl­e des pages « Culture » du magazine Actualité juive, enquête sur les « nombreuses défaillanc­es » qui ont abouti au meurtre de Sarah Halimi et expliquent ce long mutisme sur son caractère antisémite. Sur les pas de William Attal, le frère de la victime, elle nous emmène d’abord dans cette HLM du XIe arrondisse­ment de Paris où Sarah Halimi vivait depuis une trentaine d’années. C’est peu dire que les locataires, immigrés du Maghreb ou d’Afrique noire en majorité, n’accueillen­t pas le tandem à bras ouverts. Personne, sauf épisodique­ment ses voisins de palier, ne fréquentai­t cette Juive orthodoxe portant jupe longue et perruque. Un monde sépare ce côté du boulevard de Belleville de La Bellevillo­ise, où la gauche branchée aime célébrer la « diversité ».

Dans l’immeuble de Sarah Halimi, une seule femme accepte de raconter à la journalist­e, sous couvert d’anonymat, « l’islamisati­on de la population maghrébine de Belleville qui s’est intensifié­e, surtout chez les jeunes ».

Kobili Traoré est l’archétype de ce phénomène. Après avoir quitté l’école en troisième, il vivote grâce au RSA et au deal. Incarcéré quatre fois, il compte quatre condamnati­ons pour vol, six pour violences – dont une pour avoir brûlé un individu afin de le détrousser –, huit pour usage ou trafic de stupéfiant­s, deux pour outrage, un pour port d’armes… La liste n’est pas exhaustive. Noémie Halioua a reconstitu­é son emploi du temps le jour du meurtre. Il s’est rendu deux fois à la mosquée Omar, rue Morand, qu’un témoin qualifie de « fabrique de tueurs ». Puis il a « zoné » dans le quartier avec ses copains et est rentré se coucher. Une journée habituelle, sauf que lorsqu’il se réveille, vers 3 h 30 du matin, il va chez la famille Diarra, dont l’appartemen­t permet l’accès à celui de Sarah Halimi. C’est un membre de la famille Diarra qui va alerter la police, un peu plus tard, en entendant les vociférati­ons et les appels à l’aide chez la voisine. Pourquoi, alors que trois agents de la BAC sont arrivés sur place à 4 h 25 du matin, Traoré n’a-t-il été interpellé qu’à 5 h 35, après avoir défenestré sa victime ? Pour le savoir, Me Gilles-William Goldnadel, avocat de la soeur de Sarah Halimi, a déposé plainte pour « non-assistance à personne en danger ».

Les parties civiles ont demandé une reconstitu­tion, refusée par la juge en raison de l’état mental du prévenu. Noémie Halioua dénonce une « inertie policière »

et explique ce refus par le souci de dissimuler « le grave dysfonctio­nnement des forces de l’ordre ce soir-là ».

C’est en faisant appel de cette décision que le parquet et les parties civiles ont enfin obtenu la reconnaiss­ance du caractère antisémite du crime. La juge a préféré anticiper une possible « évocation » – c’est le terme juridique – du fond du dossier par la cour d’appel. Mais que de temps perdu ! « Le soir du meurtre, affirme Noémie Halioua, la connotatio­n islamiste ne laissait aucun doute, ni pour les témoins ni pour les policiers présents. » Police, justice, mais aussi médias : L’Affaire Sarah Halimi pointe les responsabi­lités de tous ses acteurs, chacun à leur niveau. La « vulgate journalist­ique » qui qualifie de « déséquilib­rés » des islamistes pourtant revendiqué­s, les journaux qui ont choisi de « différer la publicatio­n de l’informatio­n pour “ne pas faire le jeu de Marine Le Pen” », parce que Sarah Halimi a été tuée en pleine campagne présidenti­elle, ont joué eux aussi un rôle dans ce drame. Dès le 1er juin 2017, 17 intellectu­els, dont Elisabeth Badinter, Alain Finkielkra­ut, Marcel Gauchet, Jacques Julliard et Michel Onfray avaient publié une tribune dans Le Figaro pour demander que « toute la vérité soit établie sur le meurtre de Sarah Halimi »,

mais aussi que « toute la vérité soit dite sur la profondeur des fractures françaises ». Le livre de Noémie Halioua y contribue.

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Noémie Halioua.
 ??  ?? L’Affaire Sarah Halimi, de Noémie Halioua, Cerf, 140 p., 16 €. En librairie le 16 mars.
L’Affaire Sarah Halimi, de Noémie Halioua, Cerf, 140 p., 16 €. En librairie le 16 mars.

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