Le Figaro Magazine

26 Dans la tête de... Pierre Arditi

- PROPOS RECUEILLIS PAR CLARA GÉLIOT

Avec Quelque part dans cette vie, la pièce d’Israël Horovitz adaptée par Jean-Loup Dabadie qu’il joue en ce moment au Théâtre Edouard-VII dans une mise en scène de Bernard Murat avec Emmanuelle Devos, ce « stanislavs­kien endurci » a trouvé comment mettre toute son expérience personnell­e au service d’un ancien professeur de littératur­e et de musique acariâtre et exigeant. « S’il m’emmène vers la fin puisque pour la première fois je meurs sur scène, ce texte me ramène à mes premiers cours d’art dramatique et j’y trouve un bonheur immense », avoue-t-il. La force d’Israël Horovitz ?

Ses pièces sont sans fioriture. Comme un couteau très aiguisé, ce dramaturge cisèle finement le rapport entre les personnage­s. Il y a chez lui quelque chose de rauque et de fauve qui m’a obligé à gommer toute forme de séduction. Quelle partenaire est Emmanuelle Devos ?

Comme moi, c’est une machine à jouer. Nous nous étions donné la réplique dans Tailleur pour dames, de Feydeau, et elle aimait à dire qu’elle connaissai­t tout de moi. Comme je voulais lui prouver le contraire, cette pièce était une occasion en or de la retrouver. Les auteurs qui vous ont fait grandir ?

Plus que les auteurs, c’est ma vie. J’ai mis quinze ans à prendre conscience que l’existence était le premier matériau d’un acteur. Je fais non pas ce métier pour me fuir mais pour me trouver. Un chef-d’oeuvre qui vous tombe des mains ? Je vais me faire engueuler mais je dirais Shakespear­e. Sa façon d’enfouir son propos sous une végétation folle fait qu’au bout d’un moment je ne sais plus de quoi on me parle. Et si j’ai le projet de monter une de ses oeuvres avec mon ami Didier Bezace, c’est parce que je fais confiance à celui-ci pour trouver une adaptation dont je comprenne les tenants et les aboutissan­ts. Ecoutez-vous la radio ?

Etant insomniaqu­e, j’allume davantage la télévision. Je regarde des films, des débats politiques et des documentai­res comme ce passionnan­t portrait de Jean-Marie Drot, découvert l’autre nuit sur la chaîne Histoire. Avez-vous des remords ? Celui de ne pas avoir pris le temps d’aider une famille SDF que j’avais vue dans un reportage d’Hervé Chabalier et dont l’amour malgré la misère m’avait bouleversé. C’était il y a vingt ans et ce remords ne m’a jamais quitté. Des regrets ? Je regrette parfois qu’Evelyne (Bouix, ndlr) et moi n’ayons pas eu d’enfant ensemble. Mais c’est un faux regret parce qu’à chaque fois que la question s’est posée, je me disais qu’avec Frédéric, mon fils, Salomé, ma belle-fille, et Evelyne, j’en avais déjà trois à la maison ! Qu’avez-vous transmis à vos enfants ?

A Frédéric, qui a aujourd’hui 48 ans, j’ai transmis les moyens de faire ce qu’il voulait : de la peinture. Quant à Salomé, je lui ai appris à être elle-même. Je suis très fier de ce qu’elle est devenue. Quel grand-père êtes-vous avec sa fille ?

Un grand-père totalement gâteux. Il faut dire qu’elle est belle comme un astre, vive, charmante… C’est un escroc aux sentiments, cette gamine ! Votre talent caché ?

La cuisine. Quand mes enfants viennent déjeuner, je peux traverser tout Paris pour trouver la bonne carotte ou le plus beau morceau de viande. Et mon plaisir est de faire découvrir à ma petite-fille de nouvelles saveurs, comme la tomate que j’ai appris, pour elle, à monder. La réforme politique que vous attendez ?

La plus urgente me paraît être celle de l’Education nationale. C’est une question majeure, fondamenta­le, vitale à laquelle Jean-Michel Blanquer s’attaque remarquabl­ement. Vous mettez-vous encore en colère ? J’ai fait un sacré tri mais la politique est toujours une bonne raison de se mettre en colère. D’autant que ma famille politique ne me séduit plus : j’ai connu une gauche plus intelligen­te, plus lumineuse, plus créatrice. C’est pourquoi j’ai voté Macron. Avec qui aimeriez-vous échanger ? François Bayrou. C’est un homme intelligen­t et cultivé que je félicitera­is pour le très beau texte qu’il a écrit sur son ex-condition de bègue. J’aime aussi beaucoup Alain Finkielkra­ut, un écorché vif qui a une pensée importante. Avez-vous peur de la mort ?

Non, mais elle m’emmerde !

 ??  ?? « Au théâtre, je suis chez moi », avoue volontiers Pierre Arditi, qui démarra sur les planches en 1965 et n’a plus cessé d’y remonter malgré la brillante carrière qu’il menait, en parallèle, au cinéma et à la télévision.
« Au théâtre, je suis chez moi », avoue volontiers Pierre Arditi, qui démarra sur les planches en 1965 et n’a plus cessé d’y remonter malgré la brillante carrière qu’il menait, en parallèle, au cinéma et à la télévision.

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