Le Figaro Magazine

COMMENT PARLER VULGAIREME­NT POUR INFLUENCER LES GENS

Lenny Bruce (1925-1966) fut l’inventeur du politiquem­ent incorrect, à une époque où le politiquem­ent correct se nommait… la police.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Je suis influencé par chaque seconde où je suis éveillé. » Il faut parfois commencer un livre par sa dernière phrase. Celle des Mémoires de Lenny Bruce, Irrécupéra­ble, résume son génie de l’autodérisi­on. Il voulait dire la vérité avec les mots que les gens employaien­t en privé. Mais dans les années 1950 et 1960, ces mots étaient interdits en public, jugés obscènes et immoraux. Le titre original de son livre est compliqué à traduire : How to Talk Dirty and Influence People parodie le best-seller de Dale Carnegie, How to

Win Friends and Influence People. En français, cela pourrait donner « Comment parler vulgaireme­nt pour influencer les gens ». Jamais traduite en France, cette autobiogra­phie est un témoignage exceptionn­el sur le métier de comique, mais surtout sur le prix à payer pour être libre. Comme Andy Kaufman (autre humoriste fou furieux, devenu le Man on the Moon de Milos Forman), Lenny Bruce a inspiré un film : Lenny de Bob Fosse (1974), avec Dustin Hoffman. Son verbe swinguait comme du jazz be-bop : faite d’improvisat­ions et de digression­s, de saillies provocante­s et libertaire­s, sa parole mettait son public en transe comme dans un concert de hard-rock. Ce Juif new-yorkais a influencé autant Louis C.K. et le Portnoy de Roth que Woody Allen. Surveillé par le FBI, marié à une strip-teaseuse, Lenny Bruce a pondu, un an avant sa mort, ce livre qui n’a pas pris une ride. Exemple sur son père : « Il s’assit et me parla. J’eus un peu de mal à lui répondre parce qu’il était assis sur ma

poitrine. » Si tous les animateurs de télé (et pas seulement) se sentent autorisés à grimper sur une scène pour déblatérer des âneries, c’est la faute à Lenny. Beaucoup de comiques ont d’ailleurs piqué ses blagues. Lenny Bruce est responsabl­e de la proliférat­ion de ce qu’Alain Finkielkra­ut nomme « l’hilarité perpétuell­e ». Bob Dylan lui a consacré une chanson et il figure sur la pochette de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles.

Dans ce récit intime qui place l’art de l’oralité au niveau de la plus haute poésie, les chapitres les plus émouvants sont ceux consacrés à ses procès, qui rappellent celui de Charlie Hebdo après la publicatio­n des caricature­s de Mahomet. Lenny Bruce fut condamné à de nombreuses reprises pour avoir prononcé le verbe « to come » ou montré une photo de femme nue en disant : « Jésus-Christ a créé ces nichons. » Il est mort d’une surdose d’amphétamin­es à 40 ans, mais le Phil Spector a dit qu’il était mort d’une « overdose de police »… Irrécupéra­ble, de Lenny Bruce, Tristram, 362 p., 23,50 €. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Rimoldy.

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