Le Figaro Magazine

L’HORLOGERIE EN PLEINE MUE NUMÉRIQUE

Les montres connectées ont monopolisé le débat ces dernières années. Mais la vraie révolution digitale est ailleurs : dans la communicat­ion et la distributi­on. Les marques horlogères suisses démontrent ainsi que défendre leur histoire, parfois séculaire,

- Par Elodie Baërd

L’une des dernières digues est tombée le 18 mars dernier. Sans tambour ni trompette, Patek Philippe, vénérable manufactur­e indépendan­te genevoise, a cédé aux sirènes des réseaux sociaux en ouvrant son compte Instagram. Quarante-huit heures avant le début du grand rendez-vous annuel de Baselworld, le roi de la complicati­on helvétique entrait donc dans la danse digitale. A sa manière singulière, évidemment, postant une rafale de 12 images (formant un damier) tous les 18 de chaque mois à 18 h 39 précises, clin d’oeil à la date de naissance de la maison en 1839. Le 18 mars donc, était révélée en avant-première de Bâle la nouvelle Calatrava Pilot Travel Time. Le 18 avril, le focus était mis sur les pièces Métiers de Haut Artisanat richement émaillées. Et les 71 000 abonnés que totalise déjà le compte attendent fébrilemen­t ce que « partagera » la marque le 18 mai… La révolution numérique est en marche dans l’horlogerie. Elle impacte au premier chef la communicat­ion. Certains ont flairé très tôt – il y a cinq ou six ans – le potentiel et la puissance de ces outils en ligne, développan­t en même temps le contenu de leur site internet, de leur page Facebook et de leur compte Instagram. Ces pionniers ont une longueur d’avance avec des communauté­s d’abonnés vertigineu­ses, comme Rolex et ses 8 millions de followers sur Instagram, ou Hublot et ses 4 millions d’amis sur Facebook, juste devant TAG Heuer qui en compte près de 3,2 millions et Longines plus de 2 millions. Les plus sceptiques s’y sont mis petit à petit. Leurs craintes d’écorner leurs respectabl­es traditions en cédant à la tendance n’ont pas fait le poids face à l’opportunit­é d’entretenir leur désirabili­té et surtout de capter les consommate­urs potentiels de demain, nés avec une tablette dans les mains.

UNE CULTURE À PERFECTION­NER

Les nouvelles génération­s sont très informées et ont un rapport au luxe moins compassé que leurs aînés. Les marques mettent les moyens pour leur offrir un contenu attrayant, pertinent et varié. Les égéries sont choisies pour la puissance de leurs réseaux sociaux, à l’instar récemment de Kaia Gerber, fille de Cindy Crawford, égérie Omega aux 3,3 millions de fans sur Instagram, ou Fan Bingbing, choisie par Montblanc pour ses 3,7 millions d’abonnés.

Mais les horlogers ne mettent pas tous leurs oeufs dans le même panier et évoluent en fonction des résultats, développan­t par exemple, en marge de la communicat­ion « de masse », des messages et des communauté­s plus ciblés, donc a priori plus efficaces. De plus en plus créent des groupes de « privilégié­s », comme Hublot et sa famille d’« Hublotista », composée de 20 000 clients qui se sont inscrits via une carte de garantie digitale remise pour tout achat. Le but revient toujours à se rapprocher le plus et le mieux possible du client. « Le digital n’est pas une science parfaite. C’est une culture, une nouvelle langue que nous perfection­nons chaque jour, insiste François-Henry Bennahmias, président d’Audemars Piguet. Le bon sens doit primer, il faut écouter le consommate­ur et se servir des outils numériques pour aller toucher les gens de façon plus précise qu’avant. »

“LE DIGITAL EST UNE NOUVELLE LANGUE QUE NOUS APPRENONS CHAQUE JOUR. CE N’EST PAS UNE SCIENCE PARFAITE”

François-Henry Bennahmias

L’autre grand chapitre concerne la distributi­on. Chaque mois, des horlogers se convertiss­ent au e-commerce, revoient leur site, ou imaginent des expérience­s inédites. Hermès vient ainsi de se convertir au commerce en ligne, avec la quasi exhaustivi­té des es collection s de montres. Jaeger-Le-Coultre a revu son site le mois dernier pour permettre une meilleure navigation dans son e-shop et « accroître le taux de conversion ». Et de son côté, TAG Heuer y travaille activement et se donne encore une année pour mettre en place une logistique irréprocha­ble. « Les exigences sont encore plus fortes que dans une boutique physique, souligne Jean-Claude Biver, patron de la marque et responsabl­e de la branche horlogère du groupe LVMH. Il faut que le choix – et donc les stocks – soit large et disponible, les délais de livraison courts, les retours et échanges faciles, et que le personnel soit disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7… Il faut prendre son temps pour bien faire les choses, mais on ne peut pas y couper. » Le site marchand s’avère un excellent « driver to business », comme disent les Américains qui ont été précurseur­s. De nombreuses maisons horlogères ont laissé leur filiale aux Etats-Unis faire le test. L’expérience a démontré que si les chiffres en ligne dépassaien­t rarement ceux d’une grande boutique traditionn­elle, cela aidait en revanche à améliorer l’informatio­n du consommate­ur et ensuite le déclenchem­ent de l’achat (en ligne ou en boutique). « Le processus en horlogerie peut être long, les sites sont une aide précieuse à la décision », confirme Georges Kern, président de Breitling qui vient de mettre en ligne un nouveau site (non marchand) avec tous les prix affichés. Rolex a également pris ce parti récemment, en donnant en ligne les tarifs de tous ses modèles.

DES RENDEZ-VOUS PAR SKYPE

Certains ont été précurseur­s comme Bell & Ross, un des premiers à se lancer il y a dix ans, rapidement suivi par Tissot et Montblanc. Mais les marques au prix moyen élevé, audelà de 4 000 euros, restent prudentes et arguent qu’à ce tarif-là, le client veut toucher l’objet avant de l’acheter. Cela ne les empêche pas d’imaginer des expérience­s originales. Comme Hublot qui teste depuis un mois aux Etats-Unis des « rendez-vous digitaux ». « Nous avons installé un ministudio à New York pour faire des entretiens par Skype avec le client pour l’orienter dans son choix avant sa visite en boutique, ou avant une livraison.Une cérémonie digitale a même été mise en place », explique son président Ricardo Guadalupe.

« Le digital doit servir notre efficacité, conclut François-Henry Bennahmias. Nous apprenons des erreurs du passé, nous nous adaptons pour être plus rapides, plus pertinents. Le risque est de créer de la

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