LES RENDEZ-VOUS
L’auteur de « Il voyage en solitaire » a posé son sac le temps d’écrire un long récit autobiographique. Avec lui, chaque matin du monde est un miracle.
de J-R Van der Plaetsen
« Oui, la beauté guérit, quand le laid désespère, et c’est ce laid qu’on imposait ce jour à une population désorientée » CUPIDON DE LA NUIT, de Gérard Manset. Albin Michel, 350 p., 22 €.
En jeans et baskets, portant une chemise en denim et ses fameuses Wayfarer dont les verres fumés cachent des yeux brun-gris, il surgit de la nuit avec la démarche souple de ceux qui ont longtemps vécu sur la route. Personne ne le reconnaît parce qu’il a toujours refusé de se montrer à la télévision et que les rares photos connues de lui datent de plusieurs années. Le voyageur solitaire protège son univers intérieur. « La célébrité, dit-il, ça fait mal à l’homme. » Et il ajoute : « Déjeuner assis en tailleur, dans un village du Mékong ou du Cambodge, au milieu des cris d’enfants et des aboiements de chiens, c’est ça, le bonheur. » C’est une immense chance que de pouvoir passer un moment avec Gérard Manset, mythe errant devenu pour ses aficionados une légende, faite de silences et de mystères, et du refus absolu de pactiser avec l’époque et la société. Lorsqu’il s’exprime et décrit le monde tel qu’il le voit, on se dit
qu’il a gardé en lui un peu de la grâce de l’enfance. « Je suis, dit-il, une sorte de François d’Assise laïc qui parlerait aux enfants, aux animaux et aux
oiseaux. Surtout aux oiseaux. » Ainsi va Manset, toujours à la recherche de la beauté perdue.
Parfois, il la trouve enfin, cette beauté qui était le principal souci de Malherbe et de Larbaud. C’est tout le sujet de Cupidon de la nuit, subtil récit autobiographique dans lequel Manset décrit ses voyages, ses rencontres, ses tourments et ses colères. Avec une langue ourlée, précieuse, emplie de songes et de sortilèges, et une scansion pleine d’une langueur hypnotique, l’auteur se confie comme jamais et nous dit l’essentiel de sa vie : la forme d’un coquillage, la lumière du matin sur une plage, le sourire de Shiva, la grâce d’un tableau de Poussin, la solitude du voyageur, le royaume de l’enfance. On croyait Manset installé dans le solfège et les mélodies ; en réalité, il est dans la poésie.