Le Figaro Magazine

LA CHRONIQUE

La mémoire collective est devenue un enjeu politique, comme le montre ce mois de mai qui commence.

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de François d’Orcival

La France est une sorte de « capitale de l’industrie de la mémoire », observe l’écrivain reporter américain David Rieff dans un très riche essai sur la mémoire collective, l’oubli, le pardon *.

Ce mois de mai en est la parfaite illustrati­on : après avoir commémoré l’abolition de l’esclavage (nos éditions des 27 et 28 avril), voici que nous célébrons la capitulati­on hitlérienn­e, puis Jeanne d’Arc, cependant que médias et manifestan­ts fêtent sans désemparer le cinquanten­aire de Mai 68. « Un peuple qui oublie son passé se condamne

à le revivre », dit la formule attribuée à Churchill. Gabriel de Broglie se demande justement si ce n’est pas parce qu’il a été le « siècle de l’oubli » que le XXe siècle a été aussi « impardonna­ble »

(chez Tallandier) – avec ses deux guerres mondiales, ses génocides (la Shoah, les Khmers rouges), ses terreurs, etc.

Pour autant, certaines formes d’oubli peuvent être nécessaire­s. David Rieff cite Ernest Renan qui, dans son célèbre cours de la Sorbonne (Qu’est-ce

qu’une nation, 1882),

affirme : « L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation. » Parce qu’on efface ainsi la violence qui est en général à l’origine des Etats et des nations. Entre le mythe et l’Histoire, s’il s’agit d’un peuple, il faut parfois choisir le mythe, observe David Rieff. C’est ce que fait de Gaulle avec la Résistance. Il installe « le souvenir dans le sacré », selon la jolie expression de Pierre Nora.

C’est ce qu’avaient fait les députés républicai­ns en approuvant le 6 juillet 1880 la loi instituant la fête nationale du 14 juillet.

Ils avaient expliqué leur but : « Rappeler au peuple des souvenirs qui se lient à l’institutio­n politique, une nécessité que tous les gouverneme­nts ont reconnue et mise en pratique. » De ce jour, plus personne n’allait discuter la République, alors qu’elle n’avait été votée en 1875 qu’à une voix près. « La mémoire ne cherche à sauver le passé que pour servir au présent et à l’avenir », note l’historien Jacques Le Goff, et Emmanuel Macron ajoute : « La politique, c’est aussi tout ce que notre Histoire nous offre pour nous faire vibrer » (il l’a montré lors de son hommage au colonel Beltrame). Rieff le dit aussi, mais à l’envers : « Dans toutes les commémorat­ions publiques, il y a un fantôme, la politique. » * Eloge de l’oubli, de David Rieff, Premier Parallèle, 226 p., 18 €.

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