Le Figaro Magazine

GÉRARD LARCHER

Le président du Sénat a longtemps été sous-estimé. Il est aujourd’hui le seul de son parti encore en place. Il donne le la sur les réformes de Macron, et se livre avec gourmandis­e à son péché mignon, la diplomatie parlementa­ire. Sans ostentatio­n.

- Par Charles Jaigu

La force tranquille

Nous sommes en décembre 2015. Il est 4 heures du matin dans la salle d’attente de l’aéroport de Téhéran. Gérard Larcher achève une visite au cours de laquelle il a rencontré tous les responsabl­es du régime, jusqu’au président Hassan Rohani. En attendant l’avion, il se lance dans une discussion approfondi­e sur le découpage territoria­l des circonscri­ptions en Iran avec le vice-président du Parlement, présent pour les adieux protocolai­res. Jean-Pierre Raffarin est aussi dans la délégation. L’ancien Premier ministre a été deux fois son rival pour la présidence du Sénat. Il est devenu dans l’intervalle président de la Commission des Affaires étrangères de la haute assemblée. Il le regarde, incrédule. « Ce type est infatigabl­e », glisse-t-il. Et inattendu. Qui aurait cru voir Larcher à Téhéran, Moscou, Beyrouth, Alger, au Tchad pour rencontrer les troupes françaises ? Ou encore à Varsovie, en février dernier, puis à Berlin ? Le sénateur des Yvelines, réputé pour son localisme et son amour des terroirs bien français, adore être sous-estimé. Il a même une phrase pour ça : « j’ai fait

le boeuf », explique-t-il à ses collaborat­eurs quand il sort d’une réunion avec un énarque svelte. Le volumineux Larcher aime bien « faire le

boeuf », et parler de nos petits plats français. « Les ris de veau, les pigeons de Bresse – quand ils sont bien cuits –, le lièvre à la royale » sont ses préférés. Et il n’a pas peur de se moquer de lui-même, de son physique qui tranche avec les muscadins d’En Marche. Ses yeux mobiles animent un visage de notable bienveilla­nt et bon vivant qui endort le quidam – Gustave Doré en aurait tiré un joli croquis. Mais il s’enorgueill­it surtout d’avoir un peu ressemblé, plus jeune, à Philippe Noiret.

Il sait qu’on lui reproche souvent d’être un amortisseu­r de réforme. Il tient de Chirac, son mentor et son parrain, cette veine particuliè­re de gaullisme social-démocrate : il ne faut pas brusquer le pays. Son indulgence à l’égard des syndicats est légendaire. Gérard Larcher joue donc aujourd’hui le rôle d’une opposition tempérée face à l’impulsivit­é jacobine du juvénile président de la République. A l’Elysée, comme à Matignon, on trouve qu’il freine trop. « Larcher, c’est un peu cette classe politique qui refuse toujours d’avancer », glisse un proche du Premier ministre. L’ancien monde face au nouveau.

LE PARLEMENT AVANT TOUT !

Pourtant, rien n’est aussi simple chez cet homme qui n’aime pas le binaire. Il avait en effet choisi le programme de rupture de François Fillon pendant la présidenti­elle et avoué avoir fait beaucoup de chemin sur la nécessité d’un redresseme­nt énergique du pays. Sur l’actuel conflit, il s’affiche d’ailleurs progouvern­emental : « Je soutiens le gouverneme­nt dans son effort de réforme de la SNCF, il n’y a pas d’autre solution que d’aller jusqu’au bout, mais il faut préparer les voies du dialogue pour après », nous dit-il,

“JE SAIS QUE TOUT LE MONDE ME CROIT FRANC-MAÇON, MAIS JE NE L’AI JAMAIS ÉTÉ”

toujours soucieux de maintenir ouvertes les portes.

En septembre dernier, En Marche espérait conquérir le Sénat. Mais Larcher conserva facilement l’avantage : la lame de fond macronienn­e s’est arrêtée au pied du palais du Luxembourg. Le troisième personnage de l’Etat en a tiré un avantage politique immédiat. Notamment sur la réforme constituti­onnelle. Au point de devenir le porte-voix des droits du Parlement malmenés selon lui. « Le texte proposé est loin des assurances que j’avais reçues sur les dépôts d’amendement­s notamment. Ce sera la première fois que le Parlement régressera en droits depuis les débuts de la Ve », martèlet-il. Paradoxal renverseme­nt des positions, pour l’auteur de Le Gaullisme, une solution pour demain, que de se transforme­r en successeur lointain de Gaston Monnervill­e, lequel s’opposa avec fureur à la réforme de la Constituti­on voulue par le Général pour faire élire le Président au suffrage universel.

« VOUS SOUHAITEZ QUE JE TOMBE »

Gérard Larcher n’aura probableme­nt pas besoin d’aller jusque-là. Il a déjà obtenu des concession­s importante­s : une dose de proportion­nelle réduite et un maintien du cumul des mandats dans le temps pour 95 % des maires. « Dans beaucoup de petites villes, il n’y a pas d’autres candidats que celui qui exerce le mandat depuis

longtemps », nous fait-il observer à propos des maires de son secteur, dont certains sont encore plébiscité­s à 80 ans. Il lui reste à s’assurer que la réduction du nombre de parlementa­ires, souhaitée par tout le monde, n’aille pas trop loin. Les relations avec Emmanuel Macron ne sont d’ailleurs pas si mauvaises. Le président du Sénat n’a pas choisi le ton martial de Laurent Wauquiez, même s’il reste pour l’instant à l’intérieur de LR. Et il est sévère à l’égard de François Fillon. « On est tous tombés de l’armoire, glisse-t-il. J’ai continué la campagne par fidélité, mais je savais que c’était

plié », ajoute-t-il. Au second tour, il appelle donc à voter Macron « sans

état d’âme ». Une fois élu, mais pas encore investi, Emmanuel Macron lui fait savoir qu’il souhaitera­it lui rendre visite discrèteme­nt au Sénat. La veille de la cérémonie, ils se retrouvent seuls dans le bureau de président de Gérard Larcher. « Vous êtes le Président d’une France fracturée », résume Larcher. Depuis, ils se voient « toutes les trois ou cinq semaines, parfois en tête à tête – alors qu’Hollande me recevait toujours avec le président de l’Assemblée nationale. » Les échanges sont cash.

« Vous souhaiteri­ez que je tombe, je ne peux pas vous en vouloir », lui dit Larcher à la veille des sénatorial­es.

Il ajoute : « Je ne fais pas le pari de l’échec de votre mandat, je ne le souhaite pas. » Gérard Larcher croit en une chose : la mission du Sénat. Le bicamérism­e dans le monde est l’un de ses sujets de prédilecti­on, et il cite volontiers les jeunes démocratie­s à la recherche d’équilibres territoria­ux ou ethniques auxquels le Sénat a apporté son aide : Kenya, Somalie ou Liban. Et il aime rappeler la conversati­on de Jefferson et Washington à propos de la création du Congrès. « Jefferson demande à son collègue pourquoi créer une seconde chambre. Ce dernier lui répond : “Vous venez de vous servir du thé trop chaud dans une tasse froide, c’est ce qui permet de mettre l’eau à la bonne températur­e”. » Depuis son voyage iranien, Larcher a donc été battu puis réélu à la tête de la Chambre haute. Un exploit : « Je suis le seul à avoir succédé à mon successeur », glisse-t-il d’un ton enjoué. Dans cette république d’enfants du siècle, Larcher affiche une endurance à l’ancienne dont il jure, contre une réputation bien établie, qu’elle n’inclut pas l’appartenan­ce à la franc-maçonnerie. « Je sais que tout le monde me croit franc-maçon, mais je ne l’ai jamais été », nous dit-il.

L’AMI DE SES ADVERSAIRE­S

Sa modération ne lui vient pas de la fréquentat­ion des loges, nous dit-il, mais de son tempéramen­t et de sa vie de famille. « Culturelle­ment, je suis formé à une certaine ouverture au monde et à une laïcité apaisée. J’ai grandi dans une famille catholique qui était très proche de la foi protestant­e, et j’ai fini par m’y convertir après avoir

épousé une protestant­e. » Ce christiani­sme oecuméniqu­e signe le style Larcher. Lors d’un déplacemen­t en Pologne, constatant la dureté des relations entre la majorité de droite conservatr­ice et l’opposition de centre gauche, il leur cite une anecdote personnell­e sur l’importance de la réconcilia­tion : « Quand de Gaulle fait son discours à la jeunesse allemande à Ludwigsbou­rg, en 1962, on découvre ça à la télé, et mon père me dit : “Il n’y

a que lui qui pouvait le faire.” Et nous avons tourné la page, dans la famille, de l’antigerman­isme. » Très intéressé par les relations avec l’Algérie, autre pays avec lequel nos liens sont tissés de complexité, Larcher se souvient

par exemple de la dette qu’il a à l’égard de Jean-Pierre Chevènemen­t. « J’avais besoin de me tremper dans cette Afrique que je connaissai­s mal, et il a été mon professeur es Algérie. » Citant d’autres pays dont les situations politiques sont tendues, Larcher conclut que « les rapports majorité-opposition dans ces pays-là restent encore conflictue­ls ; non pas qu’on soit à l’eau tiède, mais on est arrivés à une forme apaisée ». Une remarque venue à point de la part de celui qui entra comme benjamin du Sénat en 1986, en même temps que

Jean-Luc Mélenchon : « Je lui dis souvent : j’ai plutôt mieux tourné que toi », s’amuse-t-il à propos du leader

de la gauche radicale. « Il a été un très bon ministre délégué à l’Enseigneme­nt profession­nel, mais il est un peu fatigant par moments. » Au menu des relations « en sympathie », il cite aussi Marc Blondel, l’ancien patron de FO, qui l’invita à la campagne partager un lièvre braconné en dehors de la saison de chasse. PASSION ÉQUESTRE Dans sa Normandie natale, Larcher ne se préparait pas à devenir politique. Son père l’a initié aux chevaux. Ce petit industriel dans le textile relance dans l’Orne l’élevage du cheval de selle et de course. Et transmet le virus à son fils qui monte et atteint un niveau de compétitio­n en saut d’obstacles et concours complet. « Je suis fasciné par les chevaux, et je m’intéresse en particulie­r au percheron, un peu par nostalgie. Je commence mes premiers stages d’été chez un vétérinair­e rural. Je vais même chez les bouchers qui découpent pour comprendre l’anatomie. » Devenu véto, il est aussi jeune militant gaulliste. A Sur la photo du haut, Gérard Larcher et Jean-Luc Mélenchon, les deux benjamins du Sénat, sont à droite et à gauche de la tribune et du président Alain Poher en 1986.

Photo du milieu : après la rencontre en tête à tête avec Hassan Rohani à Téhéran en décembre 2015. Ci-dessus, avec Vladimir Poutine à Moscou en avril 2016.

« C’est un patriote russe, mais il sait qu’à terme, le destin de son pays est du côté de l’Europe », confie Larcher. Rambouille­t en 1979, il est le vétérinair­e de l’équipe de France de sports équestres. Il n’a pas en tête la politique. Mais la gauche passe en 1981.

« Ma femme me dit : “Cette fois-ci, il faudrait qu’on y aille.” Elle me dira plus tard qu’elle aurait mieux fait de se taire. »

LA POLITIQUE FAÇON CHIRAC

Jacques Chirac a repéré un garçon qui a un style fait pour lui plaire. Un politique qui sent bon le cheval, les comices agricoles, un outremange­ur et petit dormeur. « En campagne, je vois tout le monde, parce que je pense que tout le monde est important et que c’est le meilleur moyen de savoir ce qui se passe. Je fais les maisons une à une. A Rambouille­t, dans mes derniers mandats, je savais nommer un habitant sur deux par son nom. » Ce quadrillag­e est le talent des élus locaux. Or, « Gégé » n’a pas de mots trop doux pour eux. « Il y a une trame qui tient le pays, elle est faite de

550 000 élus locaux », écrit-il en toutes lettres dans le rapport sur la cohésion nationale qu’il remet à François Hollande après les attentats de 2015. A ceux qui lui objectent que cela coûte trop cher, il rappelle que « plus de 90 % ne sont pas payés ». Gérard Larcher aime « la France d’à côté », parce que « le local est l’antidote du village mondial ». Et il le pratique pour lui-même. Sa permanence est accolée à sa maison de Rambouille­t, une jolie meulière dans une allée tranquille. Il y reçoit presque chaque lundi les visites d’électeurs. « Je continue à avoir une permanence ouverte six jours sur sept. Pour rester sur terre. Je pense toujours que nous sommes le contact de ceux qui n’en ont pas. »

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France