À L’AFFICHE
et les passe-temps d’Eric Neuhoff
Tout le monde n’a que ce mot à la bouche : 68, 68 ! On célèbre à tour de bras. Cela donne le tournis. A-t-on noté que les événements n’ont produit aucun film digne de ce nom (pareil côté roman) ? Il n’y a rien. Un cinéaste, cependant, avait annoncé la chienlit avec La Chinoise. Godard mettait en scène de jeunes bourgeois ânonnant des slogans révolutionnaires. Anne Wiazemsky boudait. Jean-Pierre Léaud brandissait le petit livre rouge. Ah, Léaud ! Il est la nouvelle vague à lui tout seul. Il en est le dernier survivant. Antoine Doinel est orphelin depuis longtemps.
Il a la voix cassée. Son physique s’est épaissi. Il a joué un Louis XIV à l’agonie. Cannes lui a rendu hommage. A la fin des
400 coups, il courait sur une plage à marée basse. Dans La Maman
et la putain, il portait des foulards et sifflait du whisky. Toujours ce phrasé si particulier, cette façon brusque de se recoiffer avec les doigts. Dans
La Nuit américaine, il tombait amoureux de Jacqueline Bisset. On le comprend.
Léaud se confond avec le cinéma, ce qu’il en reste. Dans les années 70, il n’était pas rare de le croiser du côté de Montparnasse, aux environs du Rosebud, ce bar de la rue Delambre où l’on servait du chili con carne. Nous étions étudiants et nous n’osions pas l’aborder. Ce fut un tort. En cette période d’intense commémoration, qu’il soit permis d’adresser ici une sorte de salut à ce grand frère de celluloïd.