NAPOLÉON OU L’ART D’ÊTRE CHEF
Leader et stratège hors pair, Napoléon Bonaparte était un formidable meneur d’hommes. De quoi inspirer, aujourd’hui, bon nombre de militaires, de chefs d’entreprise ou le... président de la République.
Napoléon stratège » : le titre de l’exposition qui se tient actuellement * au musée de l’Armée relève presque de la tautologie tant le nom de l’Empereur se confond avec la notion de stratégie. A tel point que sa méthode déborde aujourd’hui du seul domaine militaire pour inspirer le monde de l’entreprise. Les organisateurs l’annoncent d’emblée : « Quand l’homme d’affaires d’aujourd’hui bâtit sa stratégie commerciale autour de la récolte et du traitement des données par le digital, Napoléon, lui prépare ses campagnes grâce à des outils plus rudimentaires. » Et de dresser un parallèle audacieux mais séduisant entre les objets utilisés par Napoléon dans ses pérégrinations guerrières et les techniques de management contemporain : la longue-vue (veille concurrentielle), le mythique bicorne (branding), la cassette contenant les renseignements sur l’ennemi (benchmarking), la chaise pliante (réactivité), la carte (conquête des nouveaux marchés), etc.
UN REDOUTABLE COMMUNICANT
A vrai dire, l’idée n’est pas neuve. Dans sa désopilante uchronie, La Mort de Napoléon, Simon Leys l’imagine après son évasion de Sainte-Hélène, en ménage avec une maraîchère parisienne et faisant fortune dans le commerce de melons au détail ! Trêve de plaisanterie : il est indéniable que ses qualités d’organisateur, à la fois comme chef d’Etat et comme « dieu de la guerre » (la formule est de Clausewitz), en font un modèle insurpassable de leader. Napoléon est d’abord un meneur d’hommes, un super-DRH qui recrute les meilleurs (du soldat au ministre en passant par l’espion), les utilise à bon escient (Fouché pour surveiller, Schulmeister pour fouiner, Murat pour sabrer, Talleyrand pour traiter), et sait les récompenser (Légion d’honneur et promotions fulgurantes). Chez lui, l’ascenseur social fonctionne et la méritocratie n’est pas un mot vide de sens : dans quelle autre armée de l’époque, un fils de tonnelier comme Ney aurait-il pu devenir maréchal et prince de la Moskova ? L’ancien élève du collège de Brienne met aussi l’accent sur l’éducation et la formation : on lui doit les lycées et le développement des grandes écoles. Dans ses célèbres Cahiers, le capitaine Coignet raconte d’ailleurs comment, entre deux batailles, on lui apprend à lire et on le tire vers le haut… Ensuite, l’Empereur est un redoutable communicant. Il comprend immédiatement que le faire savoir est aussi vital que le savoir-faire. Général anonyme en quête de notoriété, il ne se contente pas d’accumuler les victoires (et comment !) pendant la campagne d’Italie : il va les faire connaître et façonner son image en créant deux journaux dédiés à sa gloire : Le Courrier
de l’armée d’Italie, puis La France vue de l’armée d’Italie.
Même après la chute, l’exilé de Sainte-Hélène construira sa propre légende avec le Mémorial de Las Cases, s’assurant du premier rôle dans la postérité. D’où la fascination qu’il exerce toujours : selon Jean Tulard, pape des études napoléoniennes, il s’est écrit plus de livres sur Napoléon qu’il ne s’est écoulé de jours depuis sa mort. Paradoxalement boudé en France (juste une rue Bonaparte, nulle avenue en son nom dans notre capitale dont il fut l’architecte et l’ordonnateur pourtant, alors que ses maréchaux y ont des boulevards), il est une superstar à l’étranger. En Chine ou au Japon, les expositions qui lui sont consacrées attirent des foules immenses. Ce n’est pas tant le conquérant qu’on y admire mais le dirigeant, son sens de l’initiative et du mouvement. On se souvient de l’acquisition en 2014 d’un des bicornes de l’Empereur par Kim Hong-kuk (le roi du poulet sud-coréen !) pour la coquette somme de 1,88 million d’euros. Explication du grand patron asiatique : « Napoléon fut le précurseur de l’homme d’affaires moderne ! » Nul n’est prophète en son pays… ■ * Jusqu’au 22 juillet.