LE THÉÂTRE de Philippe Tesson
Une très sensible adaptation du chef-d’oeuvre de Boulgakov, « Le Maître et Marguerite », invite à relire ce génial opéra littéraire.
Nous avons toujours pensé qu’adapter au théâtre Le Maître et Marguerite relevait de la gageure. C’est une ambition superbe mais folle. Comment donner de la lisibilité à cette oeuvre monstre, à ce magnifique désordre que la construction romanesque parvient à peine à organiser ? Rassurons tout de suite le lecteur. La sensibilité d’Igor Mendjisky à Boulgakov suffit à créer l’illusion. Sa mise en scène est en effet fidèle à l’essentiel de l’oeuvre, c’est-à-dire à l’esprit, l’esprit qui anime le voyage fantastique auquel nous invite cet écrivain génial, tantôt dans l’univers du réel, tantôt dans celui du rêve, et parfois dans l’un et l’autre confondus. La clarté n’est pas toujours là, la lettre est souvent confuse, mais la poésie y est, la folie et la violence. C’est cela qui nous touche le plus profondément chez Boulgakov : l’homme qu’il fut, le destin qu’il connut, l’épreuve, et la philosophie et la morale qu’il en tira. Sa vie est curieusement dans son oeuvre, dans celle-ci surtout, sa vie traduite en termes largement métaphoriques. Il est un grand écrivain, mais victime d’un contexte politique redoutable – la tyrannie – et d’une exigence personnelle fatale – la liberté. Il est reconnu, mais à regret. Il est banni par la société littéraire de son temps. Réprouvé par le pouvoir politique. Condamné au silence durant des années. Ce livre sera le fruit d’un travail secret de douze ans, de 1928 à 1940. Il ne paraîtra qu’en 1967. Toute une vie à observer le monde autour de soi à un moment dramatique de l’Histoire où le mal triomphe du Bien, mais où est le Mal, où est le Bien ? Toute une vie à constater le mensonge universel, la délation, la lâcheté, l’injustice, les purges, la censure, l’horreur, les têtes qui tombent et à être empêché de le dénoncer. Et cependant résister au désespoir et croire au miracle d’un rachat, croire à l’amour.
Le Maître et Marguerite, c’est l’histoire de l’inévitable et meurtrière tragédie humaine, transformée par nécessité vitale en une grandiose mascarade par un diable qui n’est même pas tout à fait sûr de lui. Il y a du Boulgakov chez ce diable, et réciproquement. Il y a une sagesse résignée et une intelligence souveraine. On a aimé dans ce spectacle, mené et interprété avec une très belle délicatesse, ce qui nous a semblé très proche de ce qu’a voulu nous dire Boulgakov.
Un spectacle mené avec délicatesse
Le Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov. Adaptation et mise en scène d’Igor Mendjisky. Avec Marc Arnaud, Esther Van den Driessche… Théâtre de la Tempête (01.43.28.36.36).