UN PAGE-TURNER BORGÉSIEN
LE LABYRINTHE DES ESPRITS, de Carlos Ruiz Zafón, Actes Sud, 840 p., 27 €. Traduit de l’espagnol par Marie Vila Casas.
Si Jorge Luis Borges était encore de ce monde, que penserait-il du romancier catalan Carlos Ruiz Zafón ? Un copieur qui s’approprie avec habileté la substance énigmatique de ses fictions truffées de mystères, sur le monde haletant et bien contemporain du « page-turner » ? Ou un fervent disciple dont les romans encastrés les uns dans les autres comme des poupées russes témoignent d’une admiration sans bornes pour le maître des labyrinthes ? Une chose est sûre : Borges l’esthète aurait goûté le charme envoûtant de l’héroïne de ce nouveau roman, le dernier du cycle du Cimetière des livres oubliés. Il est vrai qu’en plus de son intelligence aiguisée par le malheur d’avoir été enfant dans l’Espagne martyre des années 1930, la troublante Alicia Gris, « un air
de poupée perverse, de marionnette à la beauté sombre », fait tomber tous les hommes qui croisent son chemin d’orpheline reconvertie dans la police secrète. Pratique quand on a pour mission de retrouver un ministre de Franco enlevé mystérieusement à Barcelone alors qu’il célébrait l’anniversaire de sa fille et qu’on doit frayer son chemin, des coulisses encore sanglantes de la guerre civile aux corridors de la sinistre prison de Montjuïc. Zafón l’orfèvre fait tinter le cristal de la parodie sur l’étain robuste de ce thriller vintage peuplé d’imposteurs, d’érudits et d’enfants déchues. Une vertigineuse exploration d’une Barcelone que ne connaîtront jamais les touristes…