HUBERT REEVES “Il n’est pas trop tard pour agir”
A 85 ans, le célèbre astrophysicien reste toujours aussi combatif. Celui qui a passé sa vie à observer les astres et les galaxies qui entourent notre système solaire a décidé de revenir sur Terre pour tirer la sonnette et plaider une nouvelle fois pour le
La Terre vue du coeur, documentaire réalisé par Iolande Cadrin-Rossignol, actuellement en salles, lui offre la place de fil rouge. Une heure trente de conversation entre plusieurs experts intelligents et intelligibles, loin de tout discours moralisateur ou culpabilisant, et qui permet de prendre la bonne mesure des défis à venir pour arrêter ce que tous les experts, Hubert Reeves en tête, qualifient sans emphase de « sixième extinction de masse ». Quel a été l’événement déclencheur de votre démarche écologiste ? Comme je le raconte au début de La Terre vue du coeur, cela fait quarante ans maintenant que je me rends très régulièrement à Malicorne, en Bourgogne. Plus précisément sur un banc devant un étang, car j’ai toujours apprécié m’y asseoir pour observer la nature. Il y a quarante ans, lors des couchers de soleil, je pouvais voir d’incroyables ballets d’hirondelles, des myriades de papillons de quinze sortes différentes… Aujourd’hui, c’est flagrant : plus d’hiron-
delles. Et si je trouve deux papillons, c’est un exploit. Je me suis alors rendu compte que l’extinction des espèces était visible à l’oeil nu par tout un chacun. Souvenez-vous lorsque vous preniez votre voiture il y a vingt ans pour partir en vacances dans le Sud : au bout de 100 kilomètres, vous deviez vous arrêter pour nettoyer votre pare-brise couvert d’insectes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui…
Nous sommes donc sur le point de connaître la sixième grande extinction de masse de l’histoire de notre planète…
La dernière étant celle de l’extinction des dinosaures. Toutes ces disparitions ont réduit de moitié, voire de 90 %, la vie sur Terre. Mais celle que nous sommes en train de connaître est préoccupante à deux endroits. Tout d’abord la rapidité avec laquelle elle se produit : nous avons perdu 58 % des espèces sauvages vivantes depuis 1970 ; et des événements climatiques qui devraient mettre trente ans à se produire se réalisent en une quinzaine de mois. Ensuite, cette fois-ci, ce sont les hommes qui sont la cause de l’extinction.
Un aspect de cette extinction vous a particulièrement alerté…
Oui, la disparition des vers de terre est, pour moi, une véritable catastrophe. C’est l’une des conséquences les plus graves de nos pratiques agricoles, car les vers de terre participent à rendre le sol fertile. En creusant des trous, on sait qu’ils permettaient aux sols de respirer, de mieux absorber l’eau et l’air. Mais il faut aussi évoquer les océans où nous pêchons plus de poissons qu’il ne s’en reproduit, où les coraux meurent car l’eau devient trop chaude…
A vous entendre dresser cette liste, la situation semble désespérée. Est-il trop tard ?
Il n’est jamais trop tard. Personne ne sait de quoi l’avenir sera fait, dans quel état sera la planète dans trente ou cinquante ans. Ce que nous pouvons faire, c’est informer les gens sur l’état actuel des choses, leur donner des faits scientifiques, mais aussi et surtout leur dire que, partout dans le monde, des initiatives naissent pour améliorer la situation. L’écologie, ce n’est pas un grand problème : ce sont des millions de petits problèmes. L’important, c’est d’impliquer les populations. Rien n’est jamais décidé à l’avance. Il faut humaniser l’humanité. Pousser les individus à s’intéresser à la cause animale mais aussi à la cause végétale. Poursuivre ce qui a été amorcé déjà au siècle dernier par quelqu’un que je considère comme un héros : John Muir, l’un des tout premiers naturalistes dont l’intervention auprès de Roosevelt a conduit à la création du premier Parc national américain, Yellowstone. Pendant très longtemps, l’écologie pouvait être perçue comme moralisatrice et culpabilisante. N’avons-nous pas perdu du temps en nous laissant distraire par des luttes militantes anodines ?
Il ne faut jamais imposer un comportement aux gens, on sait ce que ça donne. Et par le passé, je pense que nous avons beaucoup nui à notre propre cause en voulant culpabiliser les populations. On le voit aujourd’hui avec les militants du véganisme qui peuvent être très sectaires. Je pense qu’il ne faut stigmatiser personne. Il faut que les gens puissent prendre leurs décisions eux-mêmes, en pleine conscience de leurs actes.
Mais à l’heure du mandat de Donald Trump, qui entre autres mesures sur l’écologie, a quitté les accords de Paris, comment réussir à capter l’opinion publique sur ces sujets ?
Je pense qu’en réalité l’élection de Donald Trump a provoqué un réveil des consciences aux Etats-Unis. De la Californie au Texas, on observe que de nombreuses institutions prennent le problème à bras-le-corps. Comme le fait, par exemple, que beaucoup d’universités américaines déplacent leurs fonds de pensions (qui représentent parfois plusieurs milliards de dollars, ndlr) hors des banques qui soutiennent des entreprises de forages pétroliers.
Tout n’est donc pas perdu ?
Jamais ! Il faut se souvenir de Churchill, quelqu’un que j’admire tout particulièrement. Alors que l’Europe et la civilisation semblaient condamnées devant l’Allemagne nazie, Churchill a eu cette détermination et cette volonté de dire « non ! » et de continuer à se battre. Ce qu’il faut retenir, et toujours garder en tête, c’est que nous sommes dans une guerre où deux forces s’opposent. Il y a une force de détérioration, bien sûr, mais depuis plusieurs années une force de la restauration et de la régénération monte en puissance. Et dans cette guerre, l’une des premières batailles à gagner sera de réconcilier l’écologie et l’économie. Sans ça, ce sera très difficile de changer les choses. ■
“PARTOUT DANS LE MONDE DES INITIATIVES NAISSENT POUR AMÉLIORER LA SITUATION”