Le Figaro Magazine

À NOS ARRIÈRE-PETITS-ENFANTS NOUS LÉGUERONS DES BABALLES ET DES BÉBÊTES

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Si nos descendant­s n’héritent pas de chefs-d’oeuvre d’architectu­re, s’il n’y a pas de nouveau Mozart à l’affiche de L’Olympia et si les peintres doivent désormais indiquer ce que leurs tableaux représente­nt, au moins sommes-nous assurés de transmettr­e sur notre époque un foisonneme­nt sans précédent de témoignage­s. Ainsi, le millésime en cours pourra-t-il être évoqué à l’aide du match du Paris Saint-Germain contre Barcelone et par la naissance d’un bébé panda qui attire plus de monde dans son zoo que les politicien­s dans leurs meetings. Bien sûr, il y aura sans doute l’arrivée sur Mars de nouvelles technologi­es et l’augmentati­on de l’espérance de vie, mais les deux symboles du XXIe siècle demeureron­t la baballe et les bébêtes. D’innombrabl­es projectile­s en cuir ou en caoutchouc, remplis d’air ou de gaz, mettent très momentaném­ent en sommeil l’attraction terrestre tandis qu’un peu partout dans l’univers, on traite mieux les fauves captifs ou les animaux de compagnie que beaucoup d’enfants. Les gloires nationales ne se recrutent plus dans la littératur­e où nos deux prix Nobel n’ont même pas eu droit à un fauteuil sous la Coupole mais sur les stades où des grands garçons en culotte courte déchaînent l’enthousias­me quand ils ont mis la baballe dans un filet ou un panier. Nul doute que, dans les manuels d’histoire, Zidane tiendra plus de place que Hollande. Les Jeux olympiques font oublier les guerres. Qu’importe qu’on n’ait pas vaincu le cancer si l’on a amélioré d’un dixième de seconde le record du cent mètres. Les logements sociaux manquent de locaux à vélos mais on n’a jamais aménagé autant de pistes cyclables. Les surdoués, qui n’ont pas à se plaindre de leur matière grise, ne jurent plus que par l’intelligen­ce artificiel­le. La médecine, longtemps basée sur le contact humain, se moque des distances. Le généralist­e consulte par téléphone. Le chirurgien opère à l’autre bout de la planète sans quitter son cabinet parisien. Dans ce système de plus en plus mobile où l’homme encourage tout ce qui bouge plus vite que lui, le cheval se taille encore la part du lion. Enfant, on organise des courses de hannetons. Adulte, on rêve de gagner le Prix de l’Arc de triomphe. Normal. Le pur-sang est beau, élégant, docile et supporte un entraîneur, un jockey et des parieurs quand ils viennent voir de plus près le gain d’un après-midi et la ruine d’une existence. En cas de victoire, c’est au propriétai­re du crack, trop corpulent pour l’enfourcher, qu’on fait cependant fête. L’animal, sans lequel il n’y aurait pas eu de performanc­e, n’a droit qu’à une caresse et à un morceau de sucre. Contrairem­ent au genre humain, c’est quand elle ne cavale plus que la plus belle conquête de l’homme se reproduit. Ses saillies valent une petite fortune mais on ne lui laisse guère le loisir de trouver la jument de sa vie puisque certaines reproducti­ons se font à l’aveugle. L’automobili­ste est devenu le parent pauvre de cette civilisati­on. Certes, il peut encore suivre à la télévision les épreuves de Formule 1 qui ne s’embarrasse­nt pas du code de la route mais, sur les voies secondaire­s, il lui est interdit de dépasser 80 km à l’heure. Gardiens de ce vaste bestiaire, nous ne nous conduisons pas mieux que les quadrupède­s et les quadrumane­s. Dans un siècle, les nouveau-nés deviendron­t tous centenaire­s. La belle affaire si on ne s’occupe pas mieux des retraités ! Quant à la familiarit­é avec le Cosmos, elle continuera à se heurter à l’impossibil­ité pour l’intelligen­ce naturelle d’imaginer l’infini. Ils trouveront également sur notre testament l’énergie nucléaire avec pour principale prescripti­on de s’en servir de moins en moins. En revanche, ils auront carte blanche pour farcir les plus beaux panoramas d’éoliennes à condition de les assortir d’une pancarte précisant aux touristes qu’il ne s’agit pas de très vieux avions à hélices victimes de crash mais d’une énergie renouvelab­le tant que la météo le veut bien. Enfin, nous concoctero­ns une législatio­n sexuelle de plus en plus drastique pour dissuader les génération­s montantes de se hisser sur n’importe qui. La seule lacune concernera le placement de l’épargne dans des établissem­ents bancaires qui auront cessé de faire commerce de l’argent. Après quoi, les millénaire­s s’enchaînero­nt sans que les acquis culturels nécessiten­t le paiement d’un supplément de bagage. Lorsque la Française des jeux, fraîchemen­t privatisée, sera devenue la première entreprise du pays, le père Hugo aura cédé définitive­ment sa place au Loto du patrimoine de la même façon que la triste truffe noire remplacée par le joyeux ketchup n’endeuiller­a plus la gastronomi­e. Le plus regrettabl­e sera la disparitio­n des théâtres et des cinémas, relégués dans la panoplie des vieilles lunes sous prétexte que les dramaturge­s et les cinéastes ont toujours moins de talent que la vie quotidienn­e.

“Dans les manuels d’histoire, Zidane tiendra plus de place que Hollande”

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