Le Figaro Magazine

“Message d’Homère pour les temps actuels : la civilisati­on, c’est quand on a tout à perdre ; la barbarie, c’est quand ils ont tout à gagner”

- Nicolas Ungemuth

UN ÉTÉ AVEC HOMÈRE, de Sylvain Tesson, Editions des Equateurs, 258 p., 14,50 €.

“DE GAULLE A DIT UNE CHOSE PUIS SON CONTRAIRE. IL NOUS A TRAHIS”

Le livre s’ouvre avec une scène très émouvante : les deux frérots reviennent à Alger pour la première fois depuis leur départ et vont visiter l’appartemen­t de la cité de Bab-el-Oued dans lequel ils ont grandi. Rien n’a changé,

si ce n’est la communauté. « C’est un retour quarantesi­x ans après avoir quitté l’Algérie, dans la nuit du 12 au 13 juin 1962, explique Michel. L’émotion était terrible, on se regardait, on s’interrogea­it du regard et moi j’ai été étonné, plus qu’étonné, agréableme­nt : quand je suis parti, j’avais 12 ans, donc je n’avais pas de grosses difficulté­s à me repérer dans la ville. C’est lui qui m’a étonné : Louis avait

moins de 8 ans et il a tout reconnu. » Les « événements » ont naturellem­ent été très mal vécus par la famille Acariès dont le père, chauffeur de taxi, a rejoint l’OAS avant d’être arrêté. Le sentiment de trahison n’a jamais disparu

pour ces cocus de l’Histoire… « Papa était gaulliste, papa était gaulliste !, s’écrie Michel. Ils ont tous voté pour lui. »

Louis poursuit : « Aujourd’hui, on fait passer l’OAS pour un ramassis de fascistes, mais la plupart étaient gaullistes. »

Michel rebondit : « De Gaulle avait dit à Dunkerque que l’Algérie était française pour avoir les votes des pieds-noirs, et il les a eus. Sans eux, il n’aurait pas été élu. » Mais la décolonisa­tion était sans doute inéluctabl­e. Louis, très

véhément, s’explique : « Certaineme­nt, qu’elle était inéluctabl­e. Mais cela s’est mal passé, et de Gaulle a eu un vrai problème de communicat­ion, c’est le moins qu’on puisse dire. Il aurait pu expliquer que, dans les années qui viendraien­t, les pieds-noirs devraient progressiv­ement quitter l’Algérie, qu’ils seraient accompagné­s et aidés. Il n’a pas du tout fait cela. Il a dit une chose puis son contraire. Il nous a trahis. » Michel ne dément pas : « Cinquante ans plus tard, il y a toujours un grand silence sur les événements tels qu’ils se sont passés. Il n’y a qu’à voir les manuels d’histoire ! C’est une désinforma­tion complète. C’était il y a un demi-siècle, vous rendez-vous compte ? ! Eh bien moi, je prends le droit d’en parler dans mon livre et de dire la vérité. Et je ne suis pas là pour encenser l’OAS ! L’OAS, ça a été un désastre aussi, c’était un désastre d’en arriver là. De part et d’autre, au FLN ou à l’OAS, il y a eu des extrémiste­s. L’OAS a été formée par dépit, par obligation, par malheur. Ça a duré un an et demi. Même l’intelligen­tsia de l’OAS ne pouvait pas penser que ça pourrait durer longtemps : c’était un suicide, de la survie. »

TRAITÉS DE “MÉTÈQUES” SUR LE CONTINENT

Après cela, il y a donc l’arrivée dans l’Hexagone en 1962. Le père retrouvé reprend ses activités de chauffeur de taxi. La famille s’installe en banlieue parisienne (au PetitClama­rt !) puis file à Marseille. L’intégratio­n n’est pas simple et les gosses se font traiter de métèques. Rapidement, le petit Louis, comme Jésus, multiplie les pains et

distribue les danses à foison. « La réaction des “Français” était en partie anormale mais compréhens­ible, précise

Louis, les métropolit­ains envoyaient leurs enfants de 20 ans à la guerre d’Algérie et ils n’en revenaient pas. Comment voulez-vous qu’ils n’en veuillent pas à cette communauté pied-noire française revenant, elle, d’Algérie avec tout ce qui s’était passé, avec l’OAS, enfin, un sac de noeuds épouvantab­le dont la responsabi­lité revenait à de Gaulle, et personne d’autre ? »

« On a vécu pleinement ce rejet, poursuit Michel. Je pense qu’avant nous les Portugais ont vécu ça, les Ritals, les Espagnols aussi. Mais eux, c’étaient des étrangers, et c’est là le problème. On ne parle même pas de nos grands-parents qui avaient fait la guerre d’Algérie, celles de 14-18 et de 39-45, ils l’ont fait pour la France quand même ! C’est terrible. Nous, nous n’étions pas des immigrés : nous changions de départemen­t, c’est tout. » Michel travaille dès l’âge de 13 ans et l’efficacité des poings de Louis le catapulte dans le milieu de la boxe, où il connaît une ascension fulgurante. Il sera rapidement champion de France des poids welters et superwelte­rs avant de capituler face à Carlos Santos pour le titre mondial en 1985 : on lui a diagnostiq­ué un gros problème d’hypoglycém­ie et une myopie handicapan­te sur le ring. Les Français, et en particulie­r la communauté pied-noire, l’adorent. Son grand frère et son père sont ses associés, protecteur­s et défenseurs. Cette ascension façon Rocky est joliment expliquée dans ce livre admirable. Puis, lorsqu’il arrête de boxer en 1985, son frère Michel décide qu’ils doivent continuer, autrement. Louis devient un commentate­ur prestigieu­x. Ensemble, ils ont une idée

“LA BOXE, CE N’EST PAS UN SPORT : C’EST UNE DISCIPLINE”

impossible : dépoussiér­er le milieu et organiser des rencontres dans des lieux prestigieu­x en vendant des tables très cher. Leur ami et admirateur Jean-Paul Belmondo enregistre en improvisan­t un bobineau qui est envoyé à de riches clients potentiels. C’est un succès. Louis relate l’opération : « Avec Jean-Paul Belmondo, ça a été simple.

Je l’appelle et je lui dis : “Il faut que tu me rendes un service, avec Michel on voudrait que tu sois le parrain de notre truc.” Il me répond : “Oui, oui, rejoins-moi.” Je ne le savais pas, mais il était en plein tournage avec Veber !

Quand il me voit, il arrête tout et il dit à Veber : “D’abord Louis, et après toi.” Et il m’a fait le bobineau. Mais le premier soir, il m’appelle et me dit : “Je ne pourrai pas venir, parce que Coluche est mort.” Toutes les tables étaient

faites, tout le monde l’attendait. Je lui dis : “Coluche est mort, mais si tu ne viens pas, c’est moi qui suis mort !”

Alors il me répond : “Je viens, mais je ne mettrai pas de noeud papillon.” Il est venu, il était en smoking mais il

n’avait pas mis de noeud papillon. C’était “the show must go on”, une façon de dire : “Il est mort mais je ne vais pas te laisser, tu ne vas pas mourir, toi.” Et j’ai trouvé ça magnifique, ce sont des trucs que tu n’oublies pas. Aujourd’hui, je suis toujours avec lui et je l’emmène partout, à Cannes, à Marseille. Dès qu’on a l’occasion, on lui rend la pareille. Nous sommes restés très proches. »

MACHOIRE CASSÉE ET DENT ENCLAVÉE

Finalement, ce combat perdu en 1985 aura peut-être été une bonne chose pour Michel, Louis et leur père, qui ont organisé de grands combats, repéré et entraîné de beaux champions… Louis a une réponse surprenant­e : « D’abord, la boxe, ce n’est pas un sport. Il faut être sportif pour pouvoir en faire mais c’est une discipline. Quelle notion de sport il y a dans la boxe profession­nelle quand vous êtes obligé de crever un oeil, de tuer ou de casser la tête ? Quand tu vas aux JO, oui tu joues. Mais la boxe que j’ai connue, ce n’est pas un sport, c’est une aventure périlleuse. Je ne savais pas ce qu’était la boxe lorsque je boxais. Je n’ai jamais su. J’ai compris la boxe après ma carrière. Si j’avais su le dixième de ce que j’ai appris par la suite, je serais resté dix ans champion du monde. Personne ne me battait. Mais je ne savais pas. J’étais doué, mais je ne savais pas ce que c’était. » Toutes ces années, ces deux frères ont été inséparabl­es, à tel point qu’on se demande comment une telle entente a été possible… Michel est catégoriqu­e : « Nous nous sommes retrouvés comme des expatriés en 1962. La famille a été un ciment idéal. » Louis donne plus de détails : « Un jour, je rencontre un Anglais qui avait un palmarès solide, je me prends une pêche dans la gueule, je ne suis pas sonné mais j’entends un bruit, je rentre dans un coin je dis à Michel : “Je crois que j’ai la mâchoire cassée.” C’est le premier coup sérieux que je reçois de ma carrière et Michel me dit qu’il n’y a rien de grave, que je dois continuer. Je sens que quelque chose n’est pas normal – tympan crevé, mâchoire cassée. Troisième round, je sens que l’autre me tape, je rentre dans le coin, je dis : “Je viens d’avaler un

bout de dent.” Je gagne mon combat au bout du huitième round. Je rentre à la maison, et là, il faut la passer, la nuit : c’est là que ça fait mal. Il n’y a personne pour me donner un cachet. Le lendemain, on va chez le dentiste. Il fait une radio, la mâchoire est cassée à la verticale. J’ai une dent enclavée, on m’attelle, on me met des fils et, pendant six mois on ne me voit pas, je suis planqué chez mon père à Marseille pour qu’on ne voie pas ce qui est arrivé. Et, derrière, pour reprendre la boxe, il fallait réopérer pour enlever la dent enclavée ! Donc, ils m’ont recassé la mâchoire, cette fois sous opération, et un an sur la touche. Quand tu as 20 ans ou 21 ans, pour repartir et devenir champion comme je voulais l’être, c’est difficile. Et ce n’est pas moi qui vais vous dire : “c’est dur la boxe !” C’est de la rigolade, ça. Lui, Michel, il riait dans le coin, mais quand je ne pouvais plus ouvrir la bouche, là il a vu que c’était sérieux. Mais heureuseme­nt qu’il est comme ça ! Il m’a conseillé de continuer et il avait raison. C’est un bon frère ! » On leur demande pour finir quel est, selon eux, le plus grand boxeur de tous les temps. Louis répond en premier : « Marcel Cerdan ! Il a plus fait pour la France que de

Gaulle, ha ! ha ! » Puis il nous décoche une grande claque dans l’épaule (après examen, rien de cassé). Michel répond à son tour : « Le plus grand boxeur ? Mon frère, évidemment. »

 ??  ?? Louis et Michel Acariès durant leur enfance.
Louis et Michel Acariès durant leur enfance.
 ??  ?? 1er juin 1985, championna­t du monde : Louis Acariès affronte Carlos Santos.
1er juin 1985, championna­t du monde : Louis Acariès affronte Carlos Santos.
 ??  ?? Pied-noir, poings nus. De Bab-el-Oued à Las Vegas, de Michel Acariès avec Pierre Ballester, Flammarion, 294 p., 20 €.
Pied-noir, poings nus. De Bab-el-Oued à Las Vegas, de Michel Acariès avec Pierre Ballester, Flammarion, 294 p., 20 €.

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