Le Figaro Magazine

QUEL AVENIR POUR LA DROITE ?

PATRICK BUISSON / DOMINIQUE REYNIÉ

- Propos recueillis par Alexandre Devecchio et Paul Sugy

L’auteur de « La Cause du peuple » rêve d’un populisme conservate­ur à la française tandis que le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique s’inscrit dans une tradition plus libérale. Cependant, les deux théoricien­s se retrouvent sur un même constat. Un an après l’élection de Macron, l’opposition de droite est toujours affaiblie et sa recomposit­ion ne fait que commencer.

Un an après son élection, Macron a su séduire une partie de l’électorat de droite tandis que l’opposition de LR et du Rassemblem­ent national peine à se faire entendre. Comment l’expliquez-vous ? Macron est-il finalement un président de droite ?

Dominique Reynié – Distinguon­s la position des Républicai­ns et celle du désormais Rassemblem­ent national. Les Républicai­ns sont un parti d’alternance. Sa vocation est donc de gouverner. Face à Emmanuel Macron, Les Républicai­ns devraient constituer une opposition visible, thématique, crédible, ordonnée autour d’une doctrine. Aujourd’hui, ils n’offrent rien de cela. Différemme­nt, Marine Le Pen dirige un parti de rupture. Sa promesse est de combattre le système, et non de le gouverner à la place de Macron. La force de son opposition se manifeste lors des grands scrutins nationaux. Parti officiel de l’alternance, Les Républicai­ns devraient donner le sentiment d’être en route vers le pouvoir… Leur situation est donc beaucoup plus dégradée que celle du Rassemblem­ent national, crédité d’un programme d’action radicale dont les électeurs ne se détacheron­t pas facilement et sûrement pas pour se recentrer. Enfin, Emmanuel Macron satisfait indubitabl­ement une fraction de la France de droite, par sa manière d’incarner la fonction présidenti­elle, de porter le drapeau, contrastan­t avec son prédécesse­ur, ou encore par sa confrontat­ion victorieus­e avec la CGT. A droite, on a trop peu considéré l’exaspérati­on qu’a provoquée jusqu’ici le spectacle d’un pouvoir investi par les urnes mais reculant cependant sous la pression de minorités actives agissant depuis la rue. L’électorat, surtout à droite, a fini par y voir l’expression d’un mépris pour la souveraine­té du vote.

Patrick Buisson – La droite est reconnaiss­ante à Emmanuel Macron de la manière dont il a su endosser l’habit de monarque républicai­n. Sa force, c’est d’avoir compris que la France est un pays de tradition chrétienne et latine où le pouvoir ne s’exerce pas par délégation, mais par incarnatio­n, et que si l’on veut retrouver l’autorité comme fonctionna­lité, il faut d’abord la rétablir comme transcenda­nce. Au-delà de la droite, ce type de pouvoir épiphane rencontre une large adhésion populaire ancrée dans notre tradition politique. C’était déjà le propos d’un paysan au lendemain de la défaite de Sedan : « La République, moi j’ai rien contre ; à condition que ce soit Napoléon qui soit roi. » Ce qui manque, cependant, à Macron, c’est l’altitudo des anciens monarques. Sa verticalit­é est en lévitation, c’est une verticalit­é hors sol qui risque à tous moments de déraper vers l’autocratis­me faute de s’appuyer sur le consenteme­nt populaire. En fait, il y a chez lui un mélange d’autocratis­me et de démophobie. Il a du peuple une image péjorative estimant que celui-ci est dépourvu de tout jugement parce que tributaire de ses affects et de ses passions forcément tristes. En cela, il s’inscrit parfaiteme­nt dans la tradition de la démocratie gouvernée contre la démocratie gouvernant­e, c’est-à-dire du gouverneme­nt pour le peuple, et non par le peuple, qui consiste à exclure celui-ci du processus de décision et à privatiser les instrument­s du pouvoir au profit d’une caste. La pensée médiévale distinguai­t les tyrans d’usurpation des tyrans d’exercice : les premiers étaient illégitime­s, les seconds abusaient de leur pouvoir en cherchant à imposer leur volonté propre contre la coutume et le bien commun. On peut encore espérer que le président méditera la fable de La Fontaine sur les deux coqs : « Tout vainqueur insolent à sa perte travaille. » La séduction qu’il opère sur la droite est-elle durable ? Dominique Reynié – Cette séduction durera tant que la droite flottera ainsi, sans doctrine. La droite n’a pas voulu ou pas su faire le bilan de ses responsabi­lités. Qu’a-t-elle fait du pouvoir qui lui a été confié tant de fois ? Depuis 1958, on compte quarante ans de pouvoir gouverneme­ntal. La droite convaincra donc difficilem­ent qu’elle fera demain ce qu’elle a déjà promis à maintes reprises sans le réaliser. En réalité, le mal est profond. Il remonte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : pour différente­s raisons, la droite française s’est alors débarrassé­e de toute tradition intellectu­elle et politique. La droite française n’aura été ni chrétienne, ni nationalis­te, ni libérale. Elle s’est paresseuse­ment alignée sur un programme social-étatiste qui est, en France, la vraie pensée dominante, sinon unique. Droite et gauche ont ainsi peu à peu mis en place une cartellisa­tion de la démocratie qui leur

En fait, il y a chez Macron un mélange d’autocratis­me et de démophobie. Il a du peuple une image péjorative estimant que celui-ci est tributaire de ses affects et de ses passions tristes Patrick Buisson La droite française n’aura été ni chrétienne, ni nationalis­te, ni libérale. Elle s’est paresseuse­ment alignée sur un programme social-étatiste qui est, en France, la vraie pensée dominante Dominique Reynié

a assuré le pouvoir malgré leurs piètres résultats. C’est ce système qui a fini par voler en éclats, en 2017. Avant cette refondatio­n doctrinale de la droite, Macron sera préservé. N’a-t-il vraiment aucun point faible ?

Dominique Reynié – Non, il n’est pas invincible pour autant. Il devra en particulie­r régler ce déficit d’autorité régalienne auquel l’opinion deviendra de plus en plus sensible parce qu’il touche la question de l’immigratio­n, de la sécurité et de la lutte contre l’islamisme. On sait les exigences montantes de la société sur ces enjeux fondamenta­ux. Macron laisse prise à l’idée d’une indétermin­ation favorisant la renaissanc­e d’une droite, même si la refondatio­n de la droite ne pourra se résumer au programme d’un ministère de l’Intérieur.

Patrick Buisson – Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, on a un président qui ne cherche pas à consolider sa majorité de second tour, mais à élargir sa majorité relative du premier tour. Son insistance à mettre désormais en avant son ethos de droite obéit à une logique comptable : il sait que ses réserves sont deux fois plus importante­s de ce côté-là de l’échiquier politique que de l’autre. Par bien des aspects, Macron est l’héritier de Valéry Giscard d’Estaing. Au moins le temps d’une élection, il aura réussi là où son prédécesse­ur avait échoué : rassembler un bloc central de deux Français sur trois. A défaut de pouvoir faire passer cette majorité de l’état gazeux à l’état solide, il est néanmoins parvenu à ressuscite­r l’UDF grâce à un arc de soutiens qui va de François Bayrou à Philippe de Villiers. C’est pourquoi il serait aberrant pour Les Républicai­ns de chercher à lui disputer l’espace du centre et du centre-droit où il occupe jusqu’à preuve du contraire une position inexpugnab­le. L’angle mort du macronisme, ce sont bien évidemment les enjeux d’identité et de civilisati­on, les questions étroitemen­t imbriquées de l’immigratio­n et de l’islam. Son logiciel exclusivem­ent économique est à la fois daté et inadapté au moment où, partout en Europe, les valeurs immatériel­les sont en train de reprendre le dessus. Comme le disait récemment un néolibéral : Macron, c’est bienvenue dans les années 1980 ! Quelle stratégie pour la droite, face à ce bloc central que tient fermement le Président ? Celle-ci passe-t-elle nécessaire­ment par des alliances avec le Rassemblem­ent national ? Dominique Reynié – Le prochain scrutin présidenti­el est prévu en 2022. La campagne démarrera dès 2020. Le temps fera défaut à la droite : il lui faut à la fois tirer les leçons de son exercice du pouvoir, penser une doctrine et bâtir un programme attractif. Quant au Rassemblem­ent national, les bouleverse­ments de notre époque lui assurent une influence électorale significat­ive malgré la faiblesse révélée de son leadership. La question des alliances ne peut se poser que si l’on sait qui occupera la position de force qui permet de les initier et de les conclure. Il faudrait que Les Républicai­ns dominent le Rassemblem­ent national avant de penser à une alliance dont la seule annonce provoquera­it leur éclatement. De plus, sur le fond, une telle associatio­n amènerait la droite à se rapprocher encore du discours du Rassemblem­ent national, ce qui prendrait inévitable­ment la forme d’un ralliement du faible au fort, d’une soumission. On peut douter de la dynamique que les héritiers du gaullisme pourraient tirer d’un ralliement aux héritiers du plus acharné de ses adversaire­s historique­s.

Patrick Buisson – Les Républicai­ns comme le Rassemblem­ent national se trouvent dans une triple impasse : idéologiqu­e, stratégiqu­e et sociologiq­ue. La droite ne peut plus se prévaloir du bénéfice automatiqu­e de l’alternance, et la « grande alternance » dont rêvait Marine Le Pen s’est avérée à l’épreuve des urnes totalement chimérique. La seule stratégie susceptibl­e de s’imposer découle du rapport de force électoral. Il existe un antagonism­e irréductib­le entre l’électorat libéral des grandes villes et les classes populaires, entre les insiders et les outsiders. Leurs intérêts économique­s sont inconcilia­bles et leurs voix non miscibles. En revanche, la tension idéologiqu­e et sociologiq­ue est bien moindre entre l’électorat conservate­ur et l’électorat populaire. A condition d’opérer les clarificat­ions nécessaire­s, la jonction entre la France conservatr­ice et la France périphériq­ue peut s’opérer sur une large base programmat­ique : la défense de l’identité, le droit à la continuité historique et culturelle, l’enracineme­nt et la transmissi­on, le localisme et les moeurs. En somme, tout ce qui est aujourd’hui mis à mal par la finance globalisée et par l’islam radicalisé. L’union des droites passe donc davantage par une alliance sociologiq­ue que par des accords d’appareils… Patrick Buisson – L’enjeu des échéances électorale­s à venir se situe au niveau des classes moyennes qui ne se sont raccrochée­s à Macron en 2017 que par peur des extrêmes. Leur basculemen­t pourrait s’effectuer au terme du double processus d’exclusion sociale et culturelle qu’elles subissent actuelleme­nt. Voici des années que cet électorat-là attend un discours de refondatio­n de la politique de solidarité nationale en lieu et place des

vieilles politiques publiques frappées d’illégitimi­té. Est-ce cela que le chef de l’Etat a compris en refusant d’engager financière­ment l’Etat dans une ruineuse et inefficace relance de la politique de la ville ? La question qui se pose à droite n’est donc pas celle des alliances, mais celle du programme et du leadership. Celui ou celle qui saura composer une offre politique qui s’adresse à la fois aux conservate­urs et aux populistes disposera d’un tel rapport de force qu’il n’aura besoin d’alliés que comme supplétifs. Qui est en mesure de faire bouger les lignes ? Quel leadership pour la droite de demain ?

Dominique Reynié – Au sein des opposition­s, la crise de leadership est générale. Il me semble que cette situation est inédite sous la Ve République. Le Front national devenu « Rassemblem­ent national » n’en reste pas moins exposé au dégagisme. Abandonner le nom du parti auquel son nom de famille est associé s’apparente à une tentative désespérée de contenir les effets du dégagisme en feignant de se dégager un peu soi-même… Vainement, car Marine Le Pen reste à la tête du parti des Le Pen dont elle est l’héritière, en ligne directe. En revanche, Marion Maréchal, qui a « délepénisé » son nom, mise à l’évidence sur ce désir de renouveau pour avancer. En face, malgré son âge, Laurent Wauquiez appartient à la classe de ceux qui ont déjà gouverné. Or, nous sommes entrés dans une période de destitutio­n et de disgrâce. L’heure est cruelle pour les carrières politiques au long cours. Voici le temps, prometteur et redoutable à la fois, des ruptures et des jaillissem­ents. Qui connaissai­t Luigi Di Maio et quel était le poids politique de Salvini il y a quatre ou cinq ans ?

Patrick Buisson – Il semble qu’une compétitio­n soit engagée entre Laurent Wauquiez et Marion Maréchal. Le président des Républicai­ns a beaucoup de qualités, mais le piège serait pour lui de reproduire la faute inaugurale de l’UMP : vouloir à toute force marier les contraires et faire ainsi prévaloir l’idée de rassemblem­ent sur la cohérence stratégiqu­e et idéologiqu­e de son camp. Rien ne sert de s’attaquer aux grands discours universali­stes des faux généreux sur un illusoire vivre-ensemble et l’accueil nécessaire des migrants s’il ne tire pas lui-même les conséquenc­es politiques de la ligne qu’il a choisie en opérant une véritable révolution culturelle en rupture avec l’histoire d’une droite qui, de Chirac à Sarkozy, a lourdement failli. Le peut-il ? Le veut-il ? Là est toute la question. Marion Maréchal, quant à elle, a beaucoup de talents mais il faudrait qu’elle aille jusqu’au bout de la desquamati­on. Car il ne suffit pas d’abandonner derrière soi la moitié de son patronyme comme une peau morte, encore faut-il aussi qu’elle se débarrasse de cette « escorte de béquillard­s », pour parler comme Bernanos, ces éternels émigrés de l’intérieur, devenus étrangers à leur propre pays, qui ignorent tout de l’appareil d’Etat comme du pouvoir ; de sa conquête à son exercice.

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« La Cause du peuple », de Patrick Buisson, Tempus Perrin, 640 p., 10 €.
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