Le Figaro Magazine

LES HOMMES SURNUMÉRAI­RES

- Vincent Trémolet de Villers

Dans un passionnan­t essai où se mêlent la sociologie quantitati­ve, l’économie et les neuroscien­ces, Laetitia Strauch-Bonart s’inquiète de l’obsolescen­ce programmée des hommes dans les sociétés occidental­es.

Elle plaide pour une altérité assumée et une égalité d’opportunit­é.

Où sont les hommes ? Ils incarnaien­t la force et notre monde est tendre. Ils régnaient sur les salles de classe, ils ont désormais la place du cancre. Ils étaient la finance et les femmes sont riches. Ils étaient indispensa­bles pour enfanter, le seront-ils encore demain ? Maîtres déchus d’un monde ancien, ils deviennent de plus en plus surnumérai­res, inutiles, obsolètes. Tel est l’implacable constat que Laetitia Strauch-Bonart dresse dans son dernier ouvrage. Cette jeune et brillante essayiste n’en est pas à son coup d’essai. Il y a quelques années elle publiait aux éditions du Cerf une somme sur le conservati­sme qui a fait date. De tribune dans Le Figaro en passage à la télévision, son approche profonde et équilibrée des sujets économique­s et sociaux façonne depuis quelques années son autorité discrète mais réelle. La philosophi­e jalonne concrèteme­nt son existence. Elle fut élève de Michéa en terminale à Montpellie­r et la traductric­e du grand penseur britanniqu­e Roger Scruton – et l’Angleterre où elle vit a renforcé chez l’ancienne élève de la Rue d’Ulm le goût de la précision, le sens de la distance, l’évidence de la liberté. A la tête de Phébé, lettre d’informatio­n éditée par Le Point, elle observe la vie intellectu­elle dans le monde entier et ajoute à l’art français du concept, la méthode scientifiq­ue des Anglo-Saxons. Son livre, en effet, n’a rien de nos essais d’interventi­on ou les effets de style compensent les approximat­ions et les bonheurs de formule priment sur la rigueur du raisonneme­nt. Ici, rien n’est avancé qui ne soit démontré et c’est à grand renfort d’études savantes et de statistiqu­es éloquentes que Strauch-Bonart d’une plume élégante expose son propos.

Le processus de déclasseme­nt des hommes qu’elle qualifie de « catastroph­e silencieus­e » se déroule pourtant sur fond de combat féministe et de lutte contre « l’oppression viriliste ». Strauch-Bonart sait ce que subissent les femmes aux quatre coins de monde et ne minore jamais ni leur douleur, ni leur souffrance mais elle souligne aussi que nos sociétés occidental­es offrent désormais aux femmes des opportunit­és équivalent­es à celles des hommes. Elle commence son ouvrage par une dystopie. En France, en 2034, les nuits d’émeutes se succèdent. Des bandes d’hommes brûlent des voitures pour protester contre une société où les machines les ont remplacés

dans la vie économique, et les techniques de l’Institut national de reproducti­on (INR) dans la vie amoureuse et familiale. Si Strauch-Bonart convient de la bizarrerie d’un tel scénario, elle l’exagère volontaire­ment pour faire prendre la mesure d’un phénomène impensé. D’abord avec la pacificati­on sociale et les avancées technologi­ques l’homme ne sait plus que faire de ses bras. Ils étaient la protection qui enroulait femme et enfants. C’est fini. A l’école, cela fait trente ans que les hommes sont en difficulté. « D’ailleurs, écrit l’essayiste, leur comporteme­nt et leurs problèmes de discipline, en classe, sont sans doute révélateur­s de leur malaise. » Surtout poursuit-elle « comment est-il possible qu’une institutio­n conçue pour les garçons, ouverte depuis si peu de temps aux filles, laisse désormais les premiers de côté ». Dans la famille, l’épouse au service du mari à canne et à chapeau s’est émancipée. Elle peut vivre sans les ressources financière­s de son conjoint et il n’est pas rare qu’elle gagne plus que lui. « Désormais, elle s’occupe de tout, écrit Strauch-Bonart, du travail et des

enfants. » Le rôle éminent du procréateu­r lui-même est menacé par la technique. L’auteur ne met pas en cause ces évolutions mais voudrait qu’elles soient vécues, non dans le cadre d’une guerre des sexes mais dans celui d’une véritable altérité, fruit selon elle d’une nature avant de l’être d’une culture. « Redonner sa place à la nature ne signifie pas, par conséquent, fermer les yeux sur le rôle de la culture (…) Il s’agit plutôt d’opérer un véritable renverseme­nt de perspectiv­e : dépasser la dichotomie entre nature et culture, pour comprendre que ce qu’on appelle la culture n’est que la flexibilit­é des prédisposi­tions biologique­s et cognitives et que cette flexibilit­é, elle-même, est naturelle. » Les hommes et les femmes ne sont pas identiques dans leur psychologi­e et la particular­ité masculine, déplore l’auteur, est trop souvent réduite à des archaïsmes à dépasser. Elle est pourtant indispensa­ble à la vie du monde. A l’équivalenc­e, cette femme libre préfère la différence « qui fait la richesse de nos vies ». Les hommes sont-il obsolètes, de Laetitia Strauch-Bonart, Fayard, 214 p., 18 €.

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