Le Figaro Magazine

LA GRANDE TRANSGRESS­ION DE TRUMP

Au fond, ce que les élites européenne­s reprochent au Président américain, c’est de croire encore à la souveraine­té des nations et à la diplomatie bilatérale.

- ÉRIC ZEMMOUR Eric Zemmour

On s’est trompé sur cette photo. On a voulu y voir un Trump esseulé, isolé, mauvais élève de la classe occidental­e, tancé par ses pairs, avec Angela Merkel en figure de proue, au nom de la doxa libre-échangiste. On a voulu se tromper. Cela arrangeait beaucoup de monde, des dirigeants européens et des grands médias occidentau­x qui, à la suite de leurs collègues américains, ont fait de l’hostilité au Président américain un principe. Car la photo dit aussi un Trump seul contre tous, dans la grande tradition américaine du cow-boy solitaire qui triomphe à la fin des méchants. Un Trump qui défend les intérêts américains, en tout cas d’une certaine Amérique, celle des vieilles industries et de leurs ouvriers, et pas des patrons de l’industrie automobile allemande, qui, eux, n’ont pas voté pour lui. Elle dit enfin, cette fameuse photo, un Trump assis, comme le roi sur son trône, et des féaux debout. Un roi qui protège militairem­ent ses féaux, et qui est donc leur seigneur dans une tradition féodale revisitée ; et qui n’entend plus être « volé par eux ».

Cette tradition féodale revisitée s’est étalée sur tous les écrans du monde, quelques jours après le sommet du G7 au Canada, dans la poignée de mains entre le même Trump et le Président de la Corée du Nord, Kim Jong-un. En se rendant à ce sommet, Trump prend un énorme risque : légitimer le dictateur communiste qu’il qualifiait il y a quelques semaines encore de « Rocket Man ». Mais il n’avait pas le choix s’il voulait tenter de régler cette question qui avait pourri les mandats de ses prédécesse­urs. C’est la conséquenc­e logique de « ce pouvoir égalisateu­r de l’atome » qu’avaient théorisé les experts français dans les années 1960. A partir du moment où la Corée du Nord a la « bombe », ce petit pays se hisse au niveau des plus grands. Mais c’est aussi, et surtout, la conséquenc­e de l’inclinatio­n de Trump pour la diplomatie bilatérale, le contact en tête à tête, au détriment de la diplomatie multilatér­ale. C’est en cela qu’il choque le plus nos bienpensan­ts occidentau­x et leurs relais médiatique­s.

Les élites européenne­s ne croient plus en la force des nations, à leur souveraine­té, au poids de leurs armées et de leurs dirigeants. Elles veulent croire que le monde de demain sera régi par le droit et le marché, à la manière de l’Union européenne.

Or cette conception multilatér­ale qui privilégie le droit et les organisati­ons internatio­naux, est remise en cause par un nombre croissant de pays : la Chine, la Russie, la Turquie, mais aussi la Hongrie ou la Pologne. Ceux-là tiennent à la traditionn­elle realpoliti­k du XIXe siècle. Longtemps, les Américains ont fait semblant de défendre le droit internatio­nal et la conception multilatér­ale pour mieux assurer leurs intérêts nationaux. Trump déchire ce voile d’hypocrisie car il estime que cela s’est désormais retourné contre les intérêts des Etats-Unis. C’est la grande transgress­ion de Trump. Celle que ne lui pardonnent pas en Europe, mais aussi en Amérique, les élites occidental­es.

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