BRETONS, NE SOYEZ PAS BÉCASSONS !
L’aimable adaptation sur grand écran des aventures de la célèbre bonne en sabots en irriterait certains.
CHER BRUNO PODALYDÈS, nous vous souhaitons bien du courage dans les jours qui viennent. Reprendre le personnage de Bécassine pour en faire l’héroïne d’un film simple, poétique, familial, modeste, sans prétention, ondoyant avec élégance, dans une Bretagne intemporelle, entre la fable benoîte et la chronique d’une époque oubliée, quelle idée quasi suicidaire ! Avez-vous oublié que nous sommes en 2018, c’est-à-dire à un moment de l’Histoire où toute ironie, toute moquerie, toute plaisanterie, toute critique, vous conduit au poteau d’exécution populaire ou médiatique, voire au tribunal ? Vous a-t-il échappé que la France est devenue un moche conglomérat de communautés toutes plus susceptibles qu’un joueur de football de 20 ans ulcéré qu’on le trouve trop jeune pour disputer une Coupe du monde de football ? Et encore : ceux qui vont vous dénoncer, vous semoncer et vous tancer ne sont certes pas aussi virulents ou dangereux que comités de vigilance anti-anti-anti-fascistes, indigénistes, milices religieuses et autres khmers verts…
Le Breton n’en est pas moins chatouilleux et doté d’un sens de l’humour très relatif à son propre endroit. Notez qu’il a en effet souffert jadis : le rattachement forcé de son duché au royaume de France à la fin du XVe siècle fut effectivement accompagné et suivi de brimades et d’humiliations destinées à briser son identité. Notamment dans l’école des hussards noirs de la IIIe République. Les aventures en bande dessinée de Bécassine, personnage un peu sot, maladroit et limité, participaient-elles de cette volonté politique ? Peutêtre, mais c’était il y a un siècle et depuis, la bonne à la jupe verte et au visage rond est plutôt devenue un symbole positif de la région. Voire un objet de fierté. A défaut d’être un film inoubliable (en raison de ses longueurs et de son faux rythme, notamment), Bécassine ! (en salles le 20 juin) ne semble pas prétendre à d’autre finalité que celle d’honorer la Bretagne. Sous les traits ressemblants d’Emeline Bayart, sa malice, sa bonté, sa générosité, son bon sens et sa tendresse naturelle la rendent profondément sympathique. A l’instar d’un film léger, piqueté de saynètes cocasses sinon hilarantes, interprété sans effets de manches par des comédiens décidés à être amusants (Denis Podalydès, Karin Viard, Michel Vuillermoz). Amis bretons, ne tombez pas dans le piège mémorialo-communautariste là où il ne s’agit pas de politique mais d’art. Dites-le, écrivez-le, scandez-le : #JeSuisBecassine. Post-apostrophum : cela étant dit, Bécassine, c’est pas ma cousine.