UNE AUTRE SIMONE AU PANTHÉON ?
L’entrée de Simone de Beauvoir à la Pléiade a donné envie à l’ancien directeur de « Lui » de s’inscrire au MLF.
On ne naît pas Beauvoir, on le devient. Née et morte à côté de La Rotonde, à Montparnasse, Simone de Beauvoir (1908-1986) a conquis sa liberté en racontant son itinéraire d’enfant gâtée : il était une fois une fille de bonne famille qui devint le symbole de la révolte antibourgeoise. Pour son entrée (tardive) dans la Pléiade, les éditions Gallimard ont délibérément choisi d’ignorer ses romans ou son
Deuxième Sexe (pourtant un immense succès de librairie) pour ne retenir que ses Mémoires et récits autobiographiques. Et c’est une sage décision. La lecture des deux tomes de souvenirs, ainsi que du splendide album de photos commentées par sa fille adoptive Sylvie Le Bon de Beauvoir, m’a fait tomber amoureux d’une morte. Jeune brune aux yeux très bleus, Simone de Beauvoir ressemblait à Léa Seydoux, avec les mêmes incisives écartées – les dents du bonheur. Sa beauté extrême frappe autant que son intelligence attentive et sa lucidité douce. Le Figaro n’a pas toujours été tendre avec la pythie germanopratine, cataloguée comme un bas-bleu enturbanné. Il est temps que l’auteur des
Mémoires d’un jeune homme dérangé reconnaisse sa dette. Le style de Simone de Beauvoir, souvent raillé comme trop scolaire, est tout le contraire : facétieux, sensuel, simple jusqu’au tranchant. Simone de Beauvoir est un paradoxe en jupon : une bourgeoise qui crache sur son milieu, et une grande féministe amoureuse des hommes (Sartre, Algren, Bost, Lanzmann). Pourtant son chef-d’oeuvre (Mémoires
d’une jeune fille rangée) décrit une enfant réservée décoincée par une camarade du cours Désir, rue Jacob : Elisabeth Lacoin, dite Zaza, fantasque et virevoltante. La libération de Beauvoir résulte peut-être de cette fascination tragique dans son enfance (Zaza est morte jeune). Avant d’être existentialiste, Simone fut zazaïste. Elle aimait le jazz, le cinéma, et quelle descente de whisky ! Elle en buvait plus que Sagan. La
Force des choses est un récit de la Seconde Guerre mondiale vue du Dôme et du Flore. Une mort très douce (1964) est une déclaration de haine irrémédiable à la finitude. Enfin elle offre une réplique définitive aux incultes du genre Eric Naulleau qui reprochent aux écrivains français leur égocentrisme : « Si un individu s’expose avec sincérité, tout
le monde, plus ou moins, se trouve en jeu. » Je le dis haut et fort : après Simone Veil, il faut faire entrer l’autre Simone au Panthéon. Mais il faudrait pour cela la déterrer du cimetière du Montparnasse, et séparer le Castor de la Hyène Dactylographe… ce que personne, pas même la mort, n’a réussi à faire. Mémoires I, II, de Simone de Beauvoir (Bibliothèque de la Pléiade). Deux tomes, 3 200 p., 125 €, prix de lancement jusqu’au 31 décembre 2018.