Le Figaro Magazine

UNE AUTRE SIMONE AU PANTHÉON ?

L’entrée de Simone de Beauvoir à la Pléiade a donné envie à l’ancien directeur de « Lui » de s’inscrire au MLF.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

On ne naît pas Beauvoir, on le devient. Née et morte à côté de La Rotonde, à Montparnas­se, Simone de Beauvoir (1908-1986) a conquis sa liberté en racontant son itinéraire d’enfant gâtée : il était une fois une fille de bonne famille qui devint le symbole de la révolte antibourge­oise. Pour son entrée (tardive) dans la Pléiade, les éditions Gallimard ont délibéréme­nt choisi d’ignorer ses romans ou son

Deuxième Sexe (pourtant un immense succès de librairie) pour ne retenir que ses Mémoires et récits autobiogra­phiques. Et c’est une sage décision. La lecture des deux tomes de souvenirs, ainsi que du splendide album de photos commentées par sa fille adoptive Sylvie Le Bon de Beauvoir, m’a fait tomber amoureux d’une morte. Jeune brune aux yeux très bleus, Simone de Beauvoir ressemblai­t à Léa Seydoux, avec les mêmes incisives écartées – les dents du bonheur. Sa beauté extrême frappe autant que son intelligen­ce attentive et sa lucidité douce. Le Figaro n’a pas toujours été tendre avec la pythie germanopra­tine, cataloguée comme un bas-bleu enturbanné. Il est temps que l’auteur des

Mémoires d’un jeune homme dérangé reconnaiss­e sa dette. Le style de Simone de Beauvoir, souvent raillé comme trop scolaire, est tout le contraire : facétieux, sensuel, simple jusqu’au tranchant. Simone de Beauvoir est un paradoxe en jupon : une bourgeoise qui crache sur son milieu, et une grande féministe amoureuse des hommes (Sartre, Algren, Bost, Lanzmann). Pourtant son chef-d’oeuvre (Mémoires

d’une jeune fille rangée) décrit une enfant réservée décoincée par une camarade du cours Désir, rue Jacob : Elisabeth Lacoin, dite Zaza, fantasque et virevoltan­te. La libération de Beauvoir résulte peut-être de cette fascinatio­n tragique dans son enfance (Zaza est morte jeune). Avant d’être existentia­liste, Simone fut zazaïste. Elle aimait le jazz, le cinéma, et quelle descente de whisky ! Elle en buvait plus que Sagan. La

Force des choses est un récit de la Seconde Guerre mondiale vue du Dôme et du Flore. Une mort très douce (1964) est une déclaratio­n de haine irrémédiab­le à la finitude. Enfin elle offre une réplique définitive aux incultes du genre Eric Naulleau qui reprochent aux écrivains français leur égocentris­me : « Si un individu s’expose avec sincérité, tout

le monde, plus ou moins, se trouve en jeu. » Je le dis haut et fort : après Simone Veil, il faut faire entrer l’autre Simone au Panthéon. Mais il faudrait pour cela la déterrer du cimetière du Montparnas­se, et séparer le Castor de la Hyène Dactylogra­phe… ce que personne, pas même la mort, n’a réussi à faire. Mémoires I, II, de Simone de Beauvoir (Bibliothèq­ue de la Pléiade). Deux tomes, 3 200 p., 125 €, prix de lancement jusqu’au 31 décembre 2018.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France