UN ITALIEN CHEZ GANDHI
Gênes, 22 décembre 1936 : un Italien élégant, quoique rongé d’un feu insaisissable, quitte une Europe qu’il juge trop séduite par le fascisme, à bord d’un paquebot appareillant pour l’Inde. Il s’appelle Lanza del Vasto. Petit-fils de prince, il a longtemps traversé la vie sans savoir à quoi utiliser la sienne. Il s’est rêvé en poète, en philosophe, en bourreau des coeurs, il a traîné son mal-être entre Florence, Berlin et Paris, mirant son beau visage dans les miroirs des salons à la mode. Il n’y a gagné qu’un épouvantable dégoût de lui-même. Qui pour l’arracher au néant qui le guette ? Un « fakir à demi-nu » prêchant la non-violence, l’humilité, le détachement. « Il m’est clair que dans le monde d’aujourd’hui, il n’y a qu’un seul homme : Gandhi. Tous les autres sont des charlatans, moi compris », note-t-il dans son journal intime. Cette certitude n’accouchera pas d’une rencontre tout de suite. Vasto n’approchera Gandhi qu’au terme d’un pèlerinage intérieur semé de déconvenues et de tentations bien terrestres, mais son séjour à l’ashram de Segaon sera sa renaissance. L’ancien désabusé regagnera l’Occident en disciple engagé. Dans L’Homme révolté, Albert Camus parlait de ces héros qui n’ont de cesse d’aller jusqu’à l’extrémité harassante de leurs passions. Quitte à tout perdre. Ce pionnier de la décroissance appartient à cette famille de grands brûlés, mais ce qu’il perdit le sauva…