JAGUAR ET PORSCHE DÉFIENT TESLA
Les deux marques européennes, spécialistes de la voiture de sport, s’attaquent au segment du véhicule électrique familial avec l’ambition d’en devenir les leaders. Impressions de conduite.
Si l’américain Tesla a fait bouger les lignes et réveillé les constructeurs haut de gamme avec ses berlines électriques, nombre d’observateurs lui prédisent un avenir plus hasardeux. A ses difficultés à augmenter les cadences et à développer sa gamme s’ajoute l’arrivée de sérieux concurrents qui peuvent s’enorgueillir de posséder une image de marque s’appuyant sur plusieurs décennies d’existence. A commencer par Jaguar. Le constructeur anglais est le premier à s’attaquer au segment de la familiale haut de gamme zéro émission et au monopole de Tesla. Il sera suivi par tous les spécialistes allemands du haut de gamme : Audi, BMW, Mercedes et Porsche. L’Audi e-Tron pointera le bout de son capot au début de l’année 2019. Quant à BMW, sa première familiale électrique n’est pas prévue avant 2020. Elle sera conçue à partir du SUV X3. La berline munichoise, issue du concept i Vision Dynamics exposé au salon de Francfort 2017, sera, pour sa part, commercialisée au cours de l’année 2021. De son côté, Mercedes a décidé d’abriter son offensive dans le domaine de l’électrification sous le label EQ. Le premier de ses dix modèles électriques devrait être prêt au début de l’année 2020. C’est à cette période que la Taycan, la première Porsche 100 % électrique, commencera à investir les routes. Un modèle inédit dont nous avons déjà pu expérimenter la technologie, au volant du concept Cross Turismo, lors d’un galop d’essai en Californie, quelques jours après le premier essai de la Jaguar i-Pace. La Jaguar et la Porsche se distinguent par leur architecture et leur positionnement. L’anglaise prend la forme d’un crossover de 4,68 m tandis que la Taycan sera une grande berline de près de 4,90 m. La décision de produire sa déclinaison surélevée Cross Turismo n’a pas encore été prise mais, chez Porsche, les concepts ne sont jamais gratuits. Selon certains experts de la marque, cette variante pourrait même constituer l’essentiel des ventes du programme Mission E. La capacité de l’unité de production, installée sur le site historique de Stuttgart-Zuffenhausen, a été revue à la hausse et portée à 30 000 unités, au lieu de 20 000 initialement. Chez Porsche, on croit dur comme fer à ce programme qui va lui permettre de participer aux objectifs de réduction de la moyenne des émissions de CO2 de sa gamme à 95 g/km. Il suffit de voir les yeux des Californiens briller à l’évocation d’une Porsche électrique pour comprendre que la marque de sport allemande possède, au pays de Tesla, un important réservoir de clientèle. La Taycan cible véritablement les possesseurs d’une voiture de la marque d’Elon Musk. Le tarif sera ainsi calqué sur celui de l’américaine. Autour de 100 000 €.
Pour élargir son parc, Porsche prévoit de proposer des versions moins performantes, dont le prix se situera à environ 85 000 €. A ce niveau de prix, on peut déjà rouler dans une i-Pace bien équipée (à partir de 78 380 €) et lancée le 2 juillet prochain. Les formes de nos deux véhicules préservent le langage stylistique de leurs familles respectives. A côté de la Jaguar, qui renvoie à des modèles existants,
la Porsche nous projette déjà dans le futur. Ses lignes donnent une idée assez précise de l’évolution du style de la marque à l’avenir. Les projecteurs embarquant la technologie Matrix LED offrent une nouvelle signature lumineuse autour de quatre petits carrés. Le fin bandeau lumineux, qui traverse la poupe, serait repris sur la prochaine 911 Type 992 lancée début 2019.
Si les deux fers de lance de l’offensive électrique de Jaguar et de Porsche proposent des écritures de style distinctes, ils se retrouvent sur la technologie. Dans les deux cas, la carrosserie est principalement réalisée en aluminium et le soubassement accueille les batteries. Cela permet une grande liberté de conception et d’offrir une habitabilité de limousine, notamment aux places arrière. Le volume de chargement du crossover i-Pace atteint 683 litres en intégrant le bac de 27 litres situé sous le capot avant. La capacité de la batterie Porsche sera d’au moins 80 kWh lorsque celle de l’i-Pace est de 90 kWh. En matière de puissance, la Porsche promet 600 chevaux, 200 de plus que la i-Pace. Les valeurs proviennent de deux moteurs synchrones à aimants permanents installés sur chaque essieu. De fait, les deux véhicules sont des quatre roues motrices. L’allemande est logiquement la plus performante. Elle annonce un 0 à 100 km/h en moins de 3,5 secondes lorsque l’anglaise se contente de 4,8 secondes. La première conserve l’avantage d’une vitesse de pointe supérieure de 50 km/h (250 km/h). Dans la vraie vie, seuls les usagers des autoroutes allemandes pourront expérimenter ces vitesses. Un rythme auquel ne résiste d’ailleurs pas l’énergie d’une batterie, le nerf de la guerre des véhicules électriques. La Taycan revendique une autonomie de 500 km, selon la norme NEDC désormais dépassée quand la i-Pace annonce 480 km selon le nouveau cycle WLTP. En pratique, leur rayon d’action devrait se situer entre 280 et 400 km, selon le type de parcours. Bien qu’encore à l’état de prototype de développement, la Porsche nous a impressionnés par la vigueur de ses accélérations, dès les premiers mètres. Mais les deux véhicules bluffent par leur absence de roulis, reflet d’un centre de gravité abaissé. La Porsche démontre un comportement plus sportif mais la Jaguar est loin de démériter, y ajoutant même, grâce à sa suspension pneumatique optionnelle, de réelles capacités de franchissement. L’anglaise peut également se flatter de disposer d’un frein moteur virtuel à deux niveaux au lever de pied. Le plus élevé permet jusqu’à 0,4 G de décélération et dispense, dans de nombreux cas, de saisir la pédale de freins. Autant pour étouffer les bruits de roulement que pour donner l’illusion de conduire une voiture de sport, le conducteur du i-Pace peut actionner la bande-son d’un gros moteur à carburateur ! Chez Porsche, les ingénieurs ont fait savoir qu’ils n’étaient pas favorables à ce type de système, préférant mettre en valeur la sonorité caractéristique des moteurs électriques.
LE SPORT AVEC UN FIL À LA PATTE
Reste un sujet crucial : le temps de recharge des accumulateurs. Porsche entend s’appuyer sur le réseau européen à haut débit Ionity en cours de déploiement dans toute l’Europe, dont une cinquantaine de stations en France. Avec une tension de 400 volts, il prévoit de recharger la batterie en 40 min. En doublant le voltage, 15 minutes suffiront. Sur une prise, l’attente prendrait près de 4 heures. Jaguar ne prévoit pas plus de 40 minutes sur une prise de 100 kW mais ce type d’installation est encore inexistant dans l’Hexagone et le constructeur anglais ne fait pas encore partie du consortium de constructeurs réunis dans Ionity. Jaguar en est conscient et, sans doute pour lever les freins à la voiture électrique, proposera une offre de mobilité assurant contre un forfait de 150 €/mois la mise à disposition d’une F-Pace sur une durée totale, mais fractionnable, de huit semaines. La perspective de profiter d’une fiscalité attractive, notamment pour les entreprises ( bonus écologique de 6 000 €, prime à la conversion, exemption de TVS, carte grise gratuite ou demi-tarif suivant les départements, amortissement de la batterie) devrait être de nature à convertir de nombreux automobilistes. ■