Le Figaro Magazine

LECTURE/POLÉMIQUE L’Animal n’est pas un homme comme les autres

Dans un petit livre mordant, Jean-Pierre Digard refuse de sacrifier la respectabi­lité de l’homme sur l’autel de la défense de prétendus « droits animaux ».

- Paul Sugy

On serait tenté de ne pas les prendre au sérieux, tant l’outrance de certains militants de la cause animale tourne à la caricature : ainsi d’une exposition à la Villette, où des loutres avaient été conviées pour « témoigner au nom des autres animaux » . A croire qu’à force d’humaniser les palourdes, certains éthologues militants finissent par devenir eux- mêmes des « mollusques » ! Mais les bouchers charcutier­s, eux, n’ont plus le coeur à en rire. Dans une lettre du 22 juin dernier, les représenta­nts de la profession ont demandé à Gérard Collomb une protection policière, suite à de nombreuses attaques ou intimidati­ons perpétrées par des groupuscul­es végans. Jean-Pierre Digard non plus ne rit plus: dans cet essai, cet ancien directeur de recherche du CNRS, ethnologue des relations entre humains et animaux, sonne la charge contre les animaliste­s. Avec du recul et le souci de la nuance, il recontextu­alise la montée des revendicat­ions de « libération animale » en la replaçant dans un mouvement historique de renforceme­nt du lien affectif entre hommes et animaux. Ce basculemen­t, qui a vu notamment une explosion du nombre d’animaux de compagnie, a également creusé la distance entre les hommes et la vie animale… avant de « disneyland­iser » la faune sauvage à grand renfort de documentai­res animaliers.

Dans le même temps, l’ industrial­isation massive de l’ élevage de production a achevé de donner corps, avec cette « mutation des sensibilit­és », à un mouvement animaliste qui a tous les traits du dernier combat

progressis­te à la mode. Car à n’en pas douter, le véganisme est devenu trendy. Mais pendant que les juice bars veggies éclosent comme des carottes bio dans les quartiers hype des métropoles, la « haine des hommes », elle, prospère sur fond de diabolisat­ion des producteur­s de viande. En cela, l’animalisme est bien le dernier avatar de tous les combats moraux d’une gauche qui ne survit qu’à force de surenchère dans la défense des « minorités ». L’auteur remarque d’ailleurs une convergenc­e du mouvement de protection animale et du mouvement féministe : les animaux seraient, comme les femmes, « des victimes des hommes ». Et les revendicat­ions juridiques d’innerver jusqu’au code civil. L’ennui, souligne Jean-Pierre Digard, c’est que comme d’autres militantis­mes radicaux, l’animalisme repose sur un arsenal scientifiq­ue fragile. La force de cet essai est alors d’ébranler les pieds d’argile des « animal studies » qui ambitionne­nt de déconstrui­re les espèces comme jadis les « gender studies » ont tenté de faire voler en éclats les sexes. Face à un militantis­me dont il expose, page après page, la mauvaise foi, JeanPierre Digard ne défend ni son permis de chasse ni sa corrida, ni même son steak tartare. Contre l’animalisme, il en appelle seulement à l’humanisme, et refuse de laisser distiller plus longtemps « une conception péjorative et pernicieus­e de l’Homme comme un être malfaisant, éternel prédateur, indifféren­t au sort des autres espèces et grand ravageur de la biodiversi­té ».

L’animalisme est un anti-humanisme, de JeanPierre Digard, CNRS éditions, 128 p., 14 €.

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