INDESTRUCTIBLE PIXAR Enquête
Après un démarrage fracassant aux Etats-Unis, « Les Indestructibles 2 » s’annoncent comme un triomphe sur les écrans français cet été. Dernier-né de Pixar, le studio d’animation qui continue d’imposer sa différence, sa gestation et sa fabrication n’ont po
Début mai 2018, Emeryville, agréable banlieue proche de San Francisco. Il règne une certaine fébrilité dans les bâtiments chaleureux et les allées verdoyantes du siège de Pixar, le studio d’animation qui a donné naissance aux classiques comme Toy Story, Monstres & Cie, Le Monde de Nemo, Ratatouille ou Vice-versa. Si Pixar est habitué à rallier tous les suffrages (public ou critique), la compagnie est également réputée pour ne pas se reposer sur ses lauriers et pour remettre tout à plat à chaque nouveau projet. Pour autant, Les Indestructibles 2, suite de l’un de ses plus gros succès (il y a quatorze ans), appa- raissent comme un projet compliqué à plus d’un titre. Le film s’apprête à sortir sur les écrans du monde entier alors que Pixar traverse une crise sans précédent. Son patron, John Lasseter, quitte l’entreprise dont il est l’âme créative depuis le début des années 1990. Raison ? Dans le sillage de l’affaire Harvey Weinstein, il a été accusé par certaines de ses employées de comportements inappropriés et de remarques machistes sur le physique, pour la plupart proférées au cours de soirées un peu trop arrosées. Boss créatif de Pixar et de Walt Disney Animation, Lasseter sera remplacé par Pete Docter (réalisateur de Monstres & Cie et Là-haut) chez Pixar, et Jennifer Lee (réalisatrice de La Reine des neiges) chez Disney. Dans les couloirs de Pixar, le sujet est tabou. On se contente de mettre en avant les artistes féminines, si possible issues des minorités
ethniques, comme gage de bonne volonté. C’est à peine si Nicole Paradis Grindle, productrice des Indestructibles 2, accepte de répondre à notre inquiétude sur l’avenir du studio, désormais privé de l’homme qui l’a bâti : « Pixar, ce n’était pas juste John. Cela a toujours été un collectif de leaders créatifs, dès Toy Story, qui est un film réalisé par une équipe. John était certainement le cadre créatif qui supervisait tout ça mais entouré d’une équipe de talents très divers qui contribuait à l’identité du studio, film après film. » Parmi ces talents, Brad Bird.
Brad Bird est un peu un cas à part chez Pixar. Il n’était pas là lors de la fondation du studio d’animation, qu’il a rejoint au début des années 2000. Génie précoce (il réalise son premier court-métrage d’animation à l’âge de 11 ans), il est embauché très tôt par Disney, où il est formé par les grands animateurs de l’âge d’or du studio. Il étudie en même temps au prestigieux California Institute of Arts, où il fait connaissance de Lasseter, puis devient l’un des piliers créatifs de la série télé Les Simpson. Mais ce n’est qu’en 1999 qu’il réalise son premier long-métrage d’animation, Le Géant de fer. Un coup de maître qui s’avère pourtant un échec en salles, mais qui deviendra culte avec le temps et le fera remarquer au sein de la profession. Il réalise ensuite deux très gros succès de Pixar, le film de super-héros Les Indestructibles en 2004 et la comédie culi- naire Ratatouille en 2007, qui lui vaudront tous deux un oscar. Quittant ensuite le studio, il part réaliser ses deux premiers films en prises de vues réelles, Mission : Impossible – Protocole fantôme et A la poursuite de demain, deux grosses productions mettant respectivement en vedette Tom Cruise et George Clooney. Mais l’échec cinglant du second, production Disney très personnelle pour laquelle il a refusé de réaliser Star Wars – Le Réveil de la Force, le ramène chez Pixar. S’il veut concrétiser ses projets ultérieurs, il lui faut à nouveau un succès.
UNE SUITE QUI SE VEUT ORIGINALE ET SURPRENANTE
Cela fait longtemps que Disney veut donner une suite aux Indestructibles. Bird se demande d’abord si cela vaut vraiment la peine mais ne souhaitant pas voir l’univers qu’il a créé partir entre les mains d’un autre réalisateur, il finit par accepter. Dès lors, ce bourreau de travail et ses équipes vont se consacrer corps et âme à cette suite qui se doit d’être encore plus surprenante que l’original. Pour ce faire, le film enchaîne directement sur la fin du premier et voit notre superfamille confrontée à un dilemme : alors que les super-héros sont désormais interdits par l’Etat et vont donc pointer au chômage, ils sont sollicités par un homme d’affaires richissime et sa soeur, qui leur proposent de financer leur retour sur la scène publique via une
UN STUDIO RÉPUTÉ POUR SON PERFECTIONNISME ET SON EXIGENCE ARTISTIQUE
PLUSIEURS ANNÉES, 150 MILLIONS DE DOLLARS ET DES MILLIERS DE DESSINS ONT ÉTÉ NÉCESSAIRES POUR RÉALISER “LES INDESTRUCTIBLES 2”
opération médiatique. Mais pour cela, les super-héroïnes étant mieux vues par les sondages que leurs collègues masculins, c’est Helen qui va se lancer dans cette nouvelle aventure, tandis que Bob reste à la maison à s’occuper des enfants.
Tout en renouvelant les enjeux de la franchise, Brad Bird continue ainsi d’explorer le thème de la famille, qui, de son propre aveu, reste pour lui l’intérêt majeur de la saga des Indestructibles. Melody Cisinski, jeune storyboardeuse française arrivée chez Pixar depuis deux ans (le poste de story-boardeur consiste à dessiner le film plan par plan et donc à trouver des idées visuelles permettant de raconter l’histoire), ne tarit pas d’éloges sur son réalisateur : « Brad Bird, c’est le plus grand dans le domaine de l’animation, avec Hayao Miyazaki. Il a mille idées à la minute et, je l’ai vu au travail, il peut transformer une idée moyenne en quelque chose de complètement dingue. C’est quelqu’un qui essaie toujours de pousser plus loin les intentions de son collaborateur. Il nous dit “je comprends ce que tu veux faire” et il nous montre comment décupler nos propositions. C’est le secret des plus grands réalisateurs : ce sont des gens qui savent s’entourer, qui restent à l’écoute de tout le monde et qui n’essaient jamais de se faire passer pour la personne la plus intelligente de la pièce, même si c’est le cas. »
Le grand public, croyant que les ordinateurs mâchent le travail aux animateurs, n’est bien souvent pas conscient de la somme de travail que représente un film d’animation en images de synthèse. A plus forte raison pour un film Pixar réalisé par Bird, le studio et le réalisateur étant réputés pour leur perfectionnisme et leur exigence artistique. Etalée sur plusieurs années et lestée d’un budget avoisinant souvent les 150 millions de dollars, une telle production nécessite des centaines d’employés, des milliers de dessins, de sculptures et de story-boards, des recherches graphiques énormes, des réunions interminables, etc.
LE PARI : ÊTRE À LA FOIS IMPRÉVISIBLE ET FAMILIER
La pression est omniprésente pour Brad Bird. Non seulement parce qu’il n’a pas le droit à l’échec cette fois-ci, mais aussi parce que, relativement peu représentés lors de la sortie du premier Indestructibles, les films de superhéros pullulent aujourd’hui sur les écrans. Cette suite va donc devoir se démarquer de la concurrence si elle ne veut pas passer inaperçue dans le paysage hollywoodien actuel. « Lorsqu’on aborde une suite, admet le réalisateur, on essaie d’être à la fois imprévisible et familier, ce qui est une démarche assez conflictuelle. Il y a une partie de vous, à laquelle il vaut mieux tenter de résister à mon avis, qui dit : “Ils ont aimé ça la dernière fois, alors il faut le refaire cette fois-ci !” »
Un coup de pression supplémentaire a surgi il y a deux ans, alors que Bird et ses équipes travaillaient déjà sur le film : initialement programmée en 2019, la date de sortie des Indestructibles 2 a été avancée d’un an. Branle-bas de combat, les animateurs ont dû entièrement revoir leur plan de travail, changer certains éléments de l’histoire et travailler dix week-ends d’affilée pour tenir les nouveaux délais. « Cela a été évidemment pour nous tous une grosse source d’anxiété » , nous confie Bird. Si l’on ajoute donc à cela le bouleversement provoqué par le départ de John Lasseter à quelques semaines de la sortie, on imagine sans peine l’état de fatigue et de stress dans lequel Bird et ses collaborateurs ont dû boucler leur film.
Mi-juin, le verdict tombe : Les Indestructibles 2 font une sortie fracassante au box-office américain en effectuant, avec 180 millions de dollars de recettes en trois jours, le meilleur démarrage de l’histoire pour un film d’animation. Et quel film ! Spectacle étourdissant, ponctué de moments hilarants, de décors magnifiques et de scènes d’action virtuoses, Les Indestructibles 2, qui sortent mercredi prochain en France, sont un modèle de divertissement familial. La recette magique de Pixar a encore une fois fonctionné. ■