CINÉMA et l’apostrophe de J.-Ch. Buisson
L’actualité a incité un distributeur à sortir en salles « JSA », un polar d’espionnage coréen inédit en France. Et excellent.
CHERS CINÉPHILES AMATEURS DE GÉOPOLITIQUE, bénissez Donald Trump. Grâce à son incongrue initiative de prendre subitement langue et date avec Kim Jong-un, vous allez découvrir un bijou de thriller coréen inédit en salles en France. Ayant pour cadre la frontière entre les deux Corées (la Joint Security Area, dite JSA) et une improbable, circonscrite et éphémère réconciliation entre des soldats des deux pays à la fois frères et ennemis, un distributeur français s’est dit qu’il était peut-être opportun, voire nécessaire, de le montrer à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de le voir dans un festival de cinéma en 2001… Tant il est vrai qu’à sa manière, ce longmétrage à la fois physique et psychologique, émouvant et tendu, drôle et tragique, se sera révélé visionnaire. La structure narrative de JSA est classique mais originale. Après qu’un incident au postefrontière de Panmunjeom a failli dégénérer sévèrement, deux membres de la Commission neutre de surveillance en Corée (un Suédois et une Suissesse) sont invités à faire la lumière sur une étrange affaire : le meurtre de deux soldats nord-coréens par un soldat sud-coréen (un troisième Rouge a été blessé). L’événement a eu lieu dans la guérite communiste et le sergent Lee prétend s’être enfui après avoir été enlevé mais mille détails clochent : la position des cadavres, la disparition de balles utilisées durant la fusillade, des taches de sang qui ne devraient pas exister, des indices laissant penser que les protagonistes de la tuerie (bourreau et victimes) se connaissaient, la probable présence d’une cinquième personne, etc. L’enquêtrice suisse (fille d’un ex-général nord-coréen...) devine qu’elle se trouve au milieu d’un jeu de dupes. Et que personne n’a intérêt à ce que son enquête aboutisse. Raison pour laquelle elle fera tout pour faire éclater la vérité. Trois ans avant l’excellent Old Boy et une décennie avant de se perdre dans des films virtuoses mais trop esthétisants, Park Chan-wook avait réussi (avec de gros moyens) à réaliser un film aux frontières du polar et du film d’espionnage qui donnait une forme d’humanité et de familiarité à un sujet exotique et complexe jusque-là traité avec un manichéisme désolant. Dans une alternance de flash-back décrivant l’incroyable vérité et de scènes d’enquête de plus en plus précises et implacables, il conduit sa machine à images et dirige ses acteurs avec une maestria époustouflante. Le finale est à l’image du film : inattendu et terrible.
Post-apostrophum : comme le dit un général sud-coréen, « il existe deux types de gens, les communistes et les ennemis des communistes. »