LE BLOC-NOTES de Philippe Bouvard
En un an, la Macronie a suscité cinq grandes manifestations. Contre la loi travail. Contre la politique libérale. Contre l’augmentation de la CSG. Contre la réforme de la fonction publique. Contre l’abolition des privilèges du cheminot. En 2013, 5 millions de protestataires étaient descendus vainement dans la rue afin de s’opposer au Mariage pour tous souhaité par un président allergique à toute union légale. Chaque corporation semble toujours avoir à coeur de demander plus. En revanche, rien, absolument rien en faveur d’une immortalité qui ferait disparaître le chagrin de perdre des êtres chers en même temps que la peine de voir l’Etat en hériter. Certes, toutes les caisses de retraite feraient faillite. Mais guère plus tôt que ne nous le promet la remise à plat de comptes sans cesse différée depuis Jospin. Bien sûr, les entrepreneurs de pompes funèbres pourraient se reconvertir dans l’organisation des anniversaires auxquels nulle Grande Faucheuse ne mettrait plus de terme. La suppression totale des naissances éloignerait le spectre de la surpopulation, la corvée des biberons nocturnes et une recherche de crèche beaucoup plus difficultueuse qu’au temps de Marie et Joseph. Ainsi ferait-on des enfants jusqu’en 2022 (date annoncée pour tous les changements) et plus du tout ensuite. Le nouveau découpage officiel de la vie humaine prévoirait des études que conclurait vers 120 ans une greffe cérébrale de tablette. Suivrait un service universel de huit décennies durant lesquelles des régiments de « veilleurs de moral » dissuaderaient du suicide les bipèdes convaincus de l’inutilité de la vie éternelle. Naturellement, les dépenses de santé progresseraient de la même façon que les occasions d’avoir mal quelque part attestant qu’on est toujours de ce monde. Par solidarité, les constructeurs automobiles feraient don à chaque acheteur de pièces détachées mécaniques de pièces détachées organiques : un foie tout neuf pour une boîte de vitesses ; un rein de rechange pour un radiateur. Donc plus de pronostic fatal, plus de maladie de longue durée. L’éradication des virus nosocomiaux aurait pour premier effet de rendre caduc le désolant spectacle de spécialistes succombant aux maux qu’ils s’étaient donné pour vocation de guérir. La Sécu n’exclurait de ses prises en charge que les hypocondriaques sévères et les gastrosophes, consommateurs de médicaments par pure gourmandise. On assisterait parallèlement à une vaste reconversion d’une chirurgie réservée aux changements de sexe. On deviendrait femme, homme ou neutre.
Comme toutes les nouvelles grandes réformes, celle de l’immortalité devra intervenir progressivement. D’où la difficulté de sélectionner les premiers bénéficiaires en condamnant implicitement les autres à la peine capitale. Là encore, on ferait appel à la Française des jeux qui a réussi à faire gratter des millions de chômeurs. Une loi qu’on verrait bien défendue par Nicolas Hulot avant qu’il prenne enfin des vacances inaugurerait le principe de la « fortune tournante ». Aussi simple que généreux : tout propriétaire d’un bien immobilier ou détenteur d’une épargne en abandonnerait un dixième chaque siècle aux membres nécessiteux de sa famille. En commentant son projet devant le Conseil des ministres, Hulot avait dit en se mordant les lèvres pour ne pas rire : « La dépossession complète prendra par définition un millénaire. Ça laissera le temps à de nouvelles maladies d’apparaître… » Toutefois, la cohésion des familles recomposées n’égalera jamais celle des territoires puisque aucun ébéniste ne sera capable de fabriquer des tables de salle à manger assez longues pour le déjeuner du dimanche. En attendant, le Parti perpétualiste, initiateur de l’immortalité pour tous, organisera une succession d’événements antitrépas : fermeture solennelle des cimetières ; désaffection des églises puisqu’on n’aura plus de clémence divine à implorer ; mise à la retraite d’office des médecins légistes. Au cri de « La mort pour les hannetons mais plus pour les hommes ! », les militants devront sans doute en découdre avec les dirigeants de la SPA qui ne comprendront pas que leurs chères bébêtes ne puissent bénéficier du même statut.
Une idée en apparence farfelue mais débouchant sur l’inéluctable me taraude. Où célébrera-t-on le millionième numéro du Figaro Magazine ? Au troisième étage de la tour Eiffel ou sur la planète Mars ? Et avec qui ? Conserverai-je jusque-là l’asile de la dernière page ? Et quels sujets traiterai-je encore alors que je me suis cent fois répété en faisant confiance à une faculté d’oubli des lecteurs de plus en plus menacés par les conquêtes de la science ? Peut-être mobiliserai-je contre cette énergie éolienne qui a dénaturé tant de beaux panoramas si le vent est désormais laissé à l’initiative des intarissables bavards rebaptisés « climatiseurs ».
“La suppression totale des naissances éloignerait le spectre de la surpopulation”