LE VRAI POUVOIR DES LOBBYS En couverture
Les « représentants d’intérêts », selon la terminologie légale, n’ont jamais été aussi présents dans le débat public que depuis l’élection d’Emmanuel Macron. On les soupçonne de tous les maux, mais s’ils ont effectivement pour vocation d’influencer la décision publique, ils sont aussi l’expression de la société civile face au pouvoir politique.
Branle-bas de combat Chez Françoise ! La cantine de luxe des politiques, à l’abri des regards sous le terminal d’Air France, est menacée de disparition dans le cadre du projet de réaménagement de la dalle des Invalides lancé par la Ville de Paris, propriétaire du site. Des géants de l’immobilier se disputent les quelque 22 000 mètres carrés en jeu. Qu’adviendra-t-il du restaurant, qui en occupe à peine 700 ? Pascal Mousset, son patron depuis vingt-cinq ans, a appelé à l’aide le lobbyiste Marc Teyssier d’Orfeuil. Le président de Com’Publics connaît bien le restaurateur, chez lequel il organise depuis des années des déjeuners de parlementaires. Les deux hommes ont mis en commun leurs – énormes – carnets d’adresses pour mobiliser leurs relais le 17 octobre. Plus de 80 députés et sénateurs ont répondu à l’appel, du Républicain Christian Jacob au communiste André Chassaigne, présidents de leurs groupes respectifs à l’Assemblée nationale. François Hollande avait prévenu qu’il ne serait pas disponible, mais Marc Teyssier d’Orfeuil était allé lui faire signer le livre d’or créé pour l’occasion. Et, si aucun ministre ne s’est montré Chez Françoise, c’est seulement parce que le premier séminaire gouvernemental du nouveau gouvernement avait lieu ce soir-là.
“PORTES TOURNANTES”
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, surnommé « le candidat des lobbys » par le socialiste Benoît Hamon pendant la campagne parce qu’il refusait de publier la liste de ses donateurs, le sujet est omniprésent. Nicolas Hulot a affirmé avoir claqué la porte du ministère de la Transition écologique à cause d’eux, et plus précisément de Thierry Coste, le lobbyiste des chasseurs (lire p. 56). A écouter les ONG (organisations non gouvernementales), les lobbys n’auraient jamais été aussi influents dans les cercles du pouvoir. Les associations antinucléaires ont vécu comme une quasi-déclaration de guerre l’arrivée à Matignon d’Edouard Philippe, qui fut directeur des affaires publiques du géant Areva (aujourd’hui rebaptisé Orano). Leurs protestations ont été balayées par Emmanuel Macron. Le Président ne craint pas de s’afficher « business friendly », comme il l’a encore prouvé lors du dernier remaniement en nommant Emmanuelle Wargon secrétaire d’Etat à la Transition écologique. N’était-ce pas là un cas d’école de la pratique dite des « portes tournantes » entre le privé et le public, qui font entrer les lobbys dans les centres névralgiques de la décision politique ? L’entrée au gouvernement de l’ancienne directrice des affaires publiques et de la communication de Danone, également chargée de la « responsabilité sociale et environnementale » du cinquième groupe agroalimentaire mondial, a suscité des critiques au-delà des rangs de la gauche, malgré ses états
de service. Avant d’entrer chez Danone, elle a aussi, entre autres fonctions, dirigé le cabinet de Martin Hirsch, haut-commissaire aux Solidarités actives. Dès le lendemain du remaniement, ses déclarations sur
« l’huile de palme, meilleur ingrédient pour le lait infantile », sont ressorties des archives. Serge Hercberg, directeur de recherche à l’Inserm et spécialiste en épidémiologie et en nutrition, confie un « grand sentiment de malaise ». Ce médecin est le concepteur du Nutri-Score, système d’étiquetage qui permet au consommateur d’évaluer les propriétés nutritionnelles d’un aliment grâce à un code de couleurs. « Les qualités personnelles et professionnelles d’Emmanuelle Wargon ne sont absolument pas en cause, explique-t-il, mais je suis troublé de voir accéder à un rôle de décideur une ancienne cadre de haut niveau d’une société impliquée dans des problèmes de pollution et d’alimentation. Même si Danone, qui a fini par adhérer au Nutri-Score en 2017, n’est pas le pire ! Ces allers et retours entre public et privé posent question. »
Un sujet que cette énarque – de la promotion Marc-Bloch, la même qu’Edouard Philippe – maîtrise, puisqu’en 1999 elle était rapporteur devant les commissions de déontologie
« chargées du contrôle de l’exercice d’activités privées par les fonctionnaires en disponibilité ou ayant cessé définitivement leurs fonctions ». Elle a donc une « riche carrière », comme l’a dit le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux pour la défendre.
Et les exemples sont nombreux dans le « nouveau monde » promis par Emmanuel Macron. Benjamin Griveaux a lui-même été deux ans lobbyiste chez Unibail-Rodamco, premier groupe mondial d’immobilier commercial. Autre cas, celui d’Audrey Bourolleau, ex-déléguée générale de Vin et Société, la plus grande fédération de viticulteurs français. Pendant la campagne présidentielle, Serge Hercberg s’était déjà ému, avec un groupe d’addictologues, de la présence de la jeune femme dans l’équipe du candidat d’En marche. Ce qui n’a pas empêché le Président de la nommer ensuite conseillère agriculture, pêche, forêt et développement rural à l’Elysée. Le médecin était donc sans illusions quand il a signé il y a un peu plus d’un mois, avec un collectif de confrères, une lettre ouverte à la ministre de la Santé Agnès Buzyn pour déplorer l’absence de mesures de lutte contre l’alcoolisme dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale : « Le Président a dit qu’il s’opposerait au durcissement de la loi Evin, en précisant boire du vin midi et soir, soupiret-il. Il a même cité Pompidou et son fameux “N’emmerdez pas les Français” ! Que voulez-vous que la ministre de la Santé fasse ? »
“À LA PÊCHE AUX MINISTRES”
Agnès Buzyn a pu en revanche infliger une défaite au lobby agroalimentaire en rejetant ses propositions d’étiquetage nutritionnel au profit de Nutri-Score, seul logo « recommandé » par les pouvoirs publics depuis l’arrêté ministériel du 31 octobre 2017. La bagarre a été longue et coûteuse pour le contribuable, puisque Nestlé, Unilever, Mondelez et les autres leaders du marché mondial ont exigé et obtenu une étude comparative de leurs référentiels et de NutriScore, cofinancée par l’Etat à hauteur de 1,2 million d’euros. Une manoeuvre dilatoire et au bout du compte « inutile,
selon Serge Hercberg, puisque les groupes qui ont insisté pour la mise en place de cette étude n’ont pas accepté les résultats montrant la supériorité du Nutri-Score, qui n’allaient pas dans le sens de ce qu’ils souhaitaient ».
L’Association nationale des industries alimentaires (Ania) s’activait sur tous les fronts. « Elle a même fourni des amendements clés en main aux parlementaires quand le sujet est venu en discussion à l’Assemblée ou au Sénat », affirme le chercheur. En mai dernier, le Nutri-Score a aussi déchaîné les foudres des patrons de l’audiovisuel français. La puissante FoodDrinkEurope, qui fédère les industries du secteur au niveau européen, a réussi jusqu’à présent à empêcher que le logo devienne obligatoire sur les aliments. Serge Hercberg a proposé aux autorités françaises de contourner l’écueil en le rendant obligatoire dans la publicité pour ces aliments. En bon lobbyiste, lui aussi, il a réussi à gagner des députés de La République en marche à sa cause, parmi lesquels le neurologue Olivier Véran. Mais les dirigeants des principales chaînes publiques et privées ont écrit à Edouard Philippe pour s’opposer à l’amendement, en lui rappelant que « le secteur de l’alimentation constitue le premier investisseur publicitaire en télévision avec plus de 20 % de parts de marché, soit plus de 650 millions d’euros net par an ». Stéphane Tra-
“Moi, ministre de l’Agriculture, les lobbys ne pourront pas franchir la porte de mon ministère”, a publiquement promis Didier Guillaume dès sa nomination, en novembre dernier, pour se démarquer de son prédécesseur Stéphane Travert, que ses détracteurs accusaient d’être aux mains des producteurs de pesticides
miel très caractéristiques d’Aberfeldy et donc des whiskys Dewar’s. Puis le distillat, autrefois nommé aquavit (eau-de-vie), est savouré à l’ancienne, parfumé de miel dissous dans de l’eau (de la source), agrémenté de clous de girofle, cannelle, citron…
La visite de la distillerie qui suit aide à appréhender de visu le processus d’élaboration du whisky Aberfeldy : orge maltée, broyage, mashing (brassage de l’orge et de l’eau de la source), fermentation, qui va donner un genre de bière de malt, distillation par deux paires d’alambics… Dans le chai, l’exposition des tonneaux de distillerie (des Lowlands, du Speyside, des Highlands) rappelle que 70 % d’entre elles ont disparu et que Dewar’s utilisait leurs whiskys pour ses mélanges. Vous aurez peut-être la chance de goûter, à même le fût, Aberfeldy 1999, qui n’a jamais été mis en bouteille… Visite à faire suivre d’un atelier pour s’exercer aux assemblages, ou encore au chocolate pairing, qui associe Aberfeldy 12 Ans, Dewar’s 12 Ans et Dewar’s 18 Ans à du chocolat noir comportant 70 et 78 % de cacao.
CINQ MARQUES DE WHISKY
CHEZ BACARDI
Les fûts des cinq marques de whiskys dans le giron de Bacardi (Aberfeldy, Dewar’s, Aultmore, Craigellachie et Royal Brackla) vieillissent à Glasgow où sont réalisés les assemblages. A Stephanie MacLeod, l’une des rares femmes master blender, la responsabilité d’élaborer les single malts Aberfeldy. A la boutique-lounge équipée d’une petite restauration, vous aurez le loisir de goûter les whiskys des cinq marques précédemment cités auprès d’un feu de cheminée, d’acheter des flacons et autres objets, de visiter le musée sur l’histoire de la famille Dewar.
La tête pleine de jolies sensations, on pose ses valises pour la nuit à The Townhouse, ravissant bed & breakfast à la lisière du village Aberfeldy. Construite en 1890, la bâtisse a été entièrement retapée et décorée de façon contemporaine en 2015. Ses hôtes très accueillants préparent de généreux petits déjeuners à la carte, dont un robuste breakfast écossais.
En cette fin d’année, paraît un coffret inédit du confidentiel Aberfeldy 21 ans *, disponible en 180 exemplaires seulement. Issu de malts âgés de 21 ans et plus qui proviennent de l’assemblage de quelques fûts ayant contenu du bourbon et d’autres du sherry, il libère des arômes de miel de bruyère, une texture crémeuse, soyeuse, de la douceur au palais. ■
* 229 € au Whisky Lodge, à Lyon.
Stephanie MacLeod, rare femme master blender, est responsable de l’élaboration
des single malts Aberfeldy