Le Figaro Magazine

LECTURE / POLÉMIQUE

La mondialisa­tion malheureus­e

- Alexandre Devecchio

C’était il y a un an jour pour jour. La révolte des « gilets jaunes » ne faisait que commencer. Beaucoup avaient alors voulu y voir une simple jacquerie liée à l’augmentati­on du prix du carburant… Un an plus tard, les « gilets jaunes » sont toujours là et apparaisse­nt comme le symptôme d’un malaise démocratiq­ue qui traverse, en réalité, toutes les démocratie­s occidental­es. Partout, les classes moyennes se révoltent contre une mondialisa­tion dont elles sont les grandes perdantes. Cette thèse, défendue notamment par Christophe Guilluy et David Goodhart, est reprise à son compte par le jeune énarque proche du PS, David Djaïz, dans Slow Démocratie, un essai qui tombe à pic et vise presque toujours juste. Son travail se distingue par une descriptio­n détaillée du processus de mondialisa­tion et de ses conséquenc­es.

Selon l’auteur, celui-ci s’est opéré en trois étapes. A partir de 1979, avec l’élection de Margaret Thatcher, la première étape est la mise en place d’un « ordre libéral » planétaire. « Libéral doit s’entendre comme facilitant la libération des échanges et des flux en tout genre, par-delà les frontières des nations », précise l’auteur. Paradoxale­ment ce nouvel ordre, censé libérer l’économie, va déboucher sur une multiplica­tion des réglementa­tions. La démocratie va ainsi être corsetée par des autorités administra­tives et juridiques et les Etats-nations vont être dépossédés de leurs principaux leviers d’action. « Le marché unique et l’euro, pourtant les deux créations les plus importante­s de la constructi­on européenne, sont pilotés par des organes non élus », souligne Djaïz. Deuxième étape, à partir de la chute du mur de

Berlin en 1989, « la mondialisa­tion réglementa­ire » est dépassée par « la mondialisa­tion technologi­que ». La célèbre phrase attribuée à Henry Ford – « J’augmente mes ouvriers pour qu’ils m’achètent mes voitures » – perd son sens. Sous l’effet de l’ouverture des frontières, mais aussi de la révolution technique (essor d’internet et explosion du transport maritime grâce à la généralisa­tion des conteneurs), les travailleu­rs occidentau­x subissent désormais la concurrenc­e de la main-d’oeuvre à bas coût des pays de l’ancien bloc de l’Est et d’Asie. La troisième étape est marquée par les conséquenc­es de la crise financière de 2008. La crise de la dette souveraine, qui en découle, met à mal les modèles sociaux hérités des Trente Glorieuses et les mécanismes redistribu­tifs permettant d’assurer une certaine solidarité territoria­le. Les sociétés se fracturent de l’intérieur avec une opposition de plus en plus nette entre métropoles et périphérie­s. On regrettera cependant que l’auteur fasse l’impasse sur la crise migratoire de 2015 et relativise les bouleverse­ments culturels engendrés par la mondialisa­tion. Ainsi que le procès en identitari­sme et en ethnicisme qu’il fait aux mouvements « nationaux-populistes ». En réalité, pour les classes moyennes, à la paupérisat­ion économique et la dépossessi­on démocratiq­ue s’ajoute l’angoisse civilisati­onnelle. La gauche, si elle doit renaître en réhabilita­nt la nation, comme le prétend Djaïz, devra affronter cette question.

Slow Démocratie. Comment maîtriser la mondialisa­tion et reprendre notre destin en main, de David Djaïz, Allary éditions, 320 p., 20,90 €.

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