LECTURE / POLÉMIQUE
La mondialisation malheureuse
C’était il y a un an jour pour jour. La révolte des « gilets jaunes » ne faisait que commencer. Beaucoup avaient alors voulu y voir une simple jacquerie liée à l’augmentation du prix du carburant… Un an plus tard, les « gilets jaunes » sont toujours là et apparaissent comme le symptôme d’un malaise démocratique qui traverse, en réalité, toutes les démocraties occidentales. Partout, les classes moyennes se révoltent contre une mondialisation dont elles sont les grandes perdantes. Cette thèse, défendue notamment par Christophe Guilluy et David Goodhart, est reprise à son compte par le jeune énarque proche du PS, David Djaïz, dans Slow Démocratie, un essai qui tombe à pic et vise presque toujours juste. Son travail se distingue par une description détaillée du processus de mondialisation et de ses conséquences.
Selon l’auteur, celui-ci s’est opéré en trois étapes. A partir de 1979, avec l’élection de Margaret Thatcher, la première étape est la mise en place d’un « ordre libéral » planétaire. « Libéral doit s’entendre comme facilitant la libération des échanges et des flux en tout genre, par-delà les frontières des nations », précise l’auteur. Paradoxalement ce nouvel ordre, censé libérer l’économie, va déboucher sur une multiplication des réglementations. La démocratie va ainsi être corsetée par des autorités administratives et juridiques et les Etats-nations vont être dépossédés de leurs principaux leviers d’action. « Le marché unique et l’euro, pourtant les deux créations les plus importantes de la construction européenne, sont pilotés par des organes non élus », souligne Djaïz. Deuxième étape, à partir de la chute du mur de
Berlin en 1989, « la mondialisation réglementaire » est dépassée par « la mondialisation technologique ». La célèbre phrase attribuée à Henry Ford – « J’augmente mes ouvriers pour qu’ils m’achètent mes voitures » – perd son sens. Sous l’effet de l’ouverture des frontières, mais aussi de la révolution technique (essor d’internet et explosion du transport maritime grâce à la généralisation des conteneurs), les travailleurs occidentaux subissent désormais la concurrence de la main-d’oeuvre à bas coût des pays de l’ancien bloc de l’Est et d’Asie. La troisième étape est marquée par les conséquences de la crise financière de 2008. La crise de la dette souveraine, qui en découle, met à mal les modèles sociaux hérités des Trente Glorieuses et les mécanismes redistributifs permettant d’assurer une certaine solidarité territoriale. Les sociétés se fracturent de l’intérieur avec une opposition de plus en plus nette entre métropoles et périphéries. On regrettera cependant que l’auteur fasse l’impasse sur la crise migratoire de 2015 et relativise les bouleversements culturels engendrés par la mondialisation. Ainsi que le procès en identitarisme et en ethnicisme qu’il fait aux mouvements « nationaux-populistes ». En réalité, pour les classes moyennes, à la paupérisation économique et la dépossession démocratique s’ajoute l’angoisse civilisationnelle. La gauche, si elle doit renaître en réhabilitant la nation, comme le prétend Djaïz, devra affronter cette question.
Slow Démocratie. Comment maîtriser la mondialisation et reprendre notre destin en main, de David Djaïz, Allary éditions, 320 p., 20,90 €.