MUNICIPALES 2020 / PERPIGNAN LOUIS ALIOT, LA TENTATION D’UNE VILLE
Rencontre
L’ancien vice-président du Rassemblement national pourra-t-il faire basculer la ville de Perpignan en mars prochain ? Il en rêve au point d’être prêt à abandonner son mandat de député. Pour augmenter ses chances, Louis Aliot s’affiche sans étiquette face, notamment, au maire sortant LR, Jean-Marc Pujol et au député LREM, Romain Grau.
Louis Aliot sera-t-il le prochain maire de Perpignan ? Cette question agite les rédactions et fait frémir les états-majors parisiens ! Si l’ancien viceprésident du Rassemblement national venait, en mars 2020, à prendre la préfecture du département des Pyrénées-Orientales, le tremblement de terre serait national : pour la première fois depuis la perte de Toulon, gérée de 1995 à 2001, le parti de Marine Le Pen serait en mesure de diriger une ville de plus de 100 000 habitants. Déjà en 2014, Louis Aliot avait été à deux doigts d’emporter la mairie. « Il m’a manqué 4 000 voix », regrette celui qui était arrivé en tête du premier tour avec 34,2 % des suffrages mais avait dû laisser l’hôtel de ville au maire LR sortant, JeanMarc Pujol, élu grâce au désistement de la liste socialiste, arrivée en troisième position. « Ils feront pareil cette fois encore, mais ça ne produira pas les mêmes effets », veut croire le député RN, lucide sur les stratégies électorales de ses adversaires. Pour autant, à 50 ans, Louis Aliot espère que la troisième tentative sera la bonne. Dans cette ville du Sud, proche de la frontière espagnole, éloignée et oubliée de la capitale, il sait qu’il a des atouts à faire valoir.
En 2014, si le PS s’était maintenu, il aurait pu être élu à l’instar de son ami Robert Ménard à Béziers. L’ancien président de Reporters sans frontières a bénéficié d’une triangulaire pour emporter la ville voisine. D’ailleurs dans les rues de Perpignan, notamment dans le centreville, le fameux quartier Saint-Jacques, les habitants abordent Louis Aliot : « M. Aliot, il va falloir faire comme M. Ménard et mettre de l’ordre. » L’élu a parfaitement compris le message. La seule personnalité nationale qui viendra le soutenir dans sa campagne sera son ami Ménard. Il a d’ailleurs participé à l’inauguration de son QG de campagne le 25 octobre dernier. « Ménard est une référence. C’est le seul qui a une influence sur les municipales », estime Louis Aliot.
Le rugbyman à l’accent chantant (il joue dans le XV Parlementaire et a participé à la Coupe du monde des élus au Japon en septembre) rêve d’un exploit en mars prochain :
« Personne ne peut dire ce qui va se passer, le scénario de 2014 ne sera pas le même cette fois-ci. » A l’époque, il avait déjà su élargir sa base électorale. Une étude passionnante de la Fondation Jean-Jaurès * sur ce scrutin particulier a démontré que « durant sa campagne, Louis Aliot a souvent tendu la main aux électeurs gitans ». Ainsi lorsque Marine Le Pen, en meeting de soutien, dénonce l’immigration, le candidat
« a présenté un propos intégrationniste ; il a notamment déclaré : “« Perpignan ensemble » est plus qu’un slogan, c’est une condition vitale tant nous souffrons des divisions.” » Il a même semblé prendre son public au dépourvu quand il a entamé une vigoureuse défense des Gitans vivant dans le bidonville de la cité Bellus. Peut-être l’a-t-il senti, puisqu’il a tonné en pointant du doigt son public : « Ils sont français, mesdames et messieurs, comme vous, ces citoyens français veulent travailler. »
VOTE COMMUNAUTAIRE
Au-delà de cette communauté, qui ne représente que quelque 8 % de l’électorat et qui est en grande partie restée fidèle à la mairie sortante, Louis Aliot a su capter les voix d’une proportion non négligeable de l’électorat de droite. « La campagne de Louis Aliot, équilibrant rejet du système et offre gestionnaire, a eu un effet attractif sur l’électorat sarkozyste », analysent les auteurs de l’étude, qui ont constaté un « chassé-croisé de pans entiers de l’électorat » : une partie de la droite a voté FN quand une frange de la gauche « souvent issue de l’immigration » votait à droite. Jean-Marc Pujol, outre le soutien d’une grande partie de la communauté gitane, a bénéficié du « soutien de l’électorat lié aux mondes arabo-musulmans, qui démographiquement pèse bien davantage ».
En dehors de ces communautés qui peuvent peser dans l’élection et sur lesquelles les politiques locaux ont toujours
compté, comme le dit en connaisseur Louis Aliot, « le rugby structure beaucoup de choses à Perpignan ». Qu’il se joue à XV autour de l’Usap (Union sportive Arlequins perpignanais) ou à XIII autour des Dragons catalans, ce sport fédère une bonne partie de la ville et raconte une période de son histoire récente. Le stade Aimé-Giral de l’Usap porte le nom d’un joueur emblématique de Perpignan : grâce à lui, la ville remporte son premier titre de champion de France contre Tarbes en 1914 (8-7). Quelques mois plus tard, en juillet 1915, en compagnie de six de ses équipiers, le jeune demi d’ouverture d’à peine 20 ans trouve la mort sur un des champs de bataille de la guerre de 14-18. En leur hommage, l’équipe catalane de rugby adoptera, en plus des couleurs sang et or de la ville, le bleu horizon des poilus de 1914. Amateurs d’histoire, joueurs de rugby, Jean-Marc Pujol et Louis Aliot, tous deux originaires d’Algérie (le maire est né à Mostaganem et son adversaire est pied-noir d’Alger par sa mère), savent combien la fierté catalane est un des ingrédients essentiels sur lesquels il faut jouer dans une campagne. « En 14-18, la devise des Catalans était : “Catalans d’abord, Français toujours” », raconte Louis Aliot.
ALIOT, CANDIDAT SANS ÉTIQUETTE
En 2020, l’élu du Rassemblement national compte bien reprendre la recette, quasi gagnante, de 2014. En l’améliorant. « Je travaille les milieux de la bourgeoisie qui ne me connaissaient pas il y a six ans », explique le candidat. Il a eu la surprise de voir les réseaux francs-maçons s’intéresser à lui. En 2014, aucune des – nombreuses – loges de Perpignan ne l’avait invité. Cette fois-ci, il a déjà reçu quelques invitations. « J’ai fait un travail de terrain, de présentation. Il faut parler à tout le monde. » Il assure que « pour la première fois, des Français issus de l’immigration viennent » le voir et lui parler de ces immigrés illégaux ou de ces mineurs isolés qui obtiennent des avantages qu’eux n’ont pas. Comme en 2014, Louis Aliot mise sur son côté « force tranquille » pour tenter de s’imposer. Là où Robert Ménard se fait volontiers provocateur, Louis Aliot ne joue pas les agitateurs. « Il est très patelin », constate, en voisin, le maire de Toulouse, le centriste Jean-Luc Moudenc. Louis Aliot a soigneusement mis de côté son étiquette Rassemblement
national pour privilégier l’aspect local. Il a été très clair avec Marine Le Pen : « Je pars sans étiquette ou je ne pars pas aux municipales. » Du coup, les dirigeants du RN, qui misent beaucoup sur le basculement de Perpignan dans leur escarcelle, laissent Aliot mener sa campagne.
PUJOL TIRE LA SONNETTE D’ALARME À PARIS
Cette stratégie fait évidemment bondir ses principaux adversaires. Romain Grau, le candidat de La République en marche, feint de s’amuser du nouveau positionnement de son adversaire : « Il ne s’affiche pas RN ? Bientôt il va aussi dire qu’il est compatible avec LREM ? Mais il ne trompe personne ! Moi, mon premier acte de campagne a été d’organiser une paella géante. Lui, il a fait venir Eric Zemmour. » Jean-Marc Pujol, le maire sortant qui annoncera sa candidature fin novembre, s’insurge lui aussi contre la volonté de Louis Aliot de gommer son étiquette : « Il joue le recentrage mais il n’est pas en rupture avec le RN comme Robert Ménard. » Pour le moment, personne n’évoque la mise en examen d’Aliot dans l’affaire des attachés parlementaires du Parlement européen, mais la campagne n’a pas véritablement commencé. Conscient du danger d’un basculement de sa ville, Jean-Marc Pujol, aux prises avec une candidature dissidente à droite, a tiré la sonnette d’alarme à Paris. Il a écrit à Emmanuel Macron, à Edouard Philippe. Stanislas Guerini, le patron de LREM, a pris soin de l’appeler le jour de l’investiture de Romain Grau. Tout le monde semble mesurer qu’une victoire d’Aliot ne peut arriver que sur une mésentente entre Pujol et Grau.
Or, les deux hommes ont un certain contentieux. En 2014, Romain Grau figure sur la liste de Jean-Marc Pujol qui le nomme premier adjoint en charge des finances. Mais la déception pointe déjà chez le jeune élu : « En 2014, Pujol me dit que j’aurai la présidence de l’agglomération Perpignan Méditerranée et qu’il ne se représentera pas en 2020 », assure le député LREM, qui a vu le maire finalement prendre le poste. « Je me souviens être monté à Paris défendre son investiture LR pour les législatives », répond le maire de Perpignan, qui a vu son ancien adjoint partir chez LREM. Le mot « trahison » n’est pas prononcé, mais il est omniprésent. Et pourrait compliquer la réconciliation, voire le désistement, indispensable
“Bientôt il va dire qu’il est compatible avec LREM”, s’insurge le député proche d’Emmanuel Macron JEAN-MARC PUJOL ET ROMAIN GRAU NE CROIENT PAS À LA STRATÉGIE DE MODÉRATION DE LOUIS ALIOT